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1. Expressions idiomatiques
camoufleur : expression française puis anglaise utilisée pour décrire les artistes à qui l'on demandait de produire des motifs pour camoufler des machines militaires en 1915.
ziploc computing: se dit de toute sorte d'appareils numériques tenant dans un ziploc (par exemple pour être protégé du sable à la plage).
hypovibrochondriaque: se dit d'une personne qui croit constamment entendre le son de son téléphone portable (sonnerie ou vibration).
 
2. Safari sur Street View
La prospection de logements sur Airbnb cette semaine a semblé se marier à merveille d’un usage résolument intense de Google Street View. Il m’a semblé passer un bon bout de temps à sillonner sur les routes (numérisées) des Landes pour (tenter de) repérer des quartiers a priori sympathiques. Tout cela avec des approximations diverses et des curiosités d’ordre variées: le fait de ne pas avoir l’adresse complète mène à un repérage par zone (sans quelle celle-ci ne soit clairement définie pour l’usager), le changement de météo lors des prises de vue par la Google Car peut parfois donner une impression littéralement ténébreuse à certains lieux (la numérisation de la partie nord de Hossegor plage semble avoir eu lieu un jour funeste).
 
Ces aléas ne m’ont pas empêché de subir la malédiction classique des internets : le fait de commencer une activité avec un but précis (repérer un lieu donné sur Airbnb via Google Street View), et se retrouver étourdi une heure et demie après en train de regarder des vidéos sur YouTube, bas-fonds du Web, … En particulier, cette  séquence fantastique, dans laquelle on voit deux Japonais qui ont choisi, depuis leur salon on s’entend, de traverser les États-Unis d’Amérique sur Google Street View. Ces deux-là ont du prendre le terme cyber-navigation (éventuellement trouvé dans un livre de Timothy Leary sur la culture du net en 1995) au pied de la lettre; mais la vidéo est diablement intéressante. Déjà parce que les deux bougres ont mis deux jours à cheminer d’est en ouest. Ensuite, parce qu'elle suscite toutes sortes de commentaires curieux. On aimerait en savoir plus sur tout cela. Dans un autre style, cela rappelle le très bon blog de Olivier Hodasava qui décrit des scènes rencontrées sur cette plateforme au cours de ses pérégrinations. Et ce genre de safari streetviewesque renvoit aussi à l'expérience de l'auteur français François Bon dans son texte " Une traversée de Buffalo":
"Début 2010, en voiture de location, je me perds dans l’étendue urbaine de Buffalo. Surgit, juxtaposée à l’infini, toute l’histoire industrielle et sociale de l’Amérique des Grands Lacs. De retour à Québec où j'habite cet hiver-là, je tente de retrouver sur Google Earth ce pays inconnu brutalement surgi, et je me perds encore plus. Les photographies aériennes nous donnent un accès indiscret aux lieux inaccessibles ou interdits de la ville, décalent notre vision de la ville ordinaire. C’est depuis ce moment que j’associe ces images à des bribes de fiction qui s’autorisent le fantastique, et recomposent à leur tour une autre ville."
Dans un autre registre, j'en venais à me dire qu'il serait curieux d'écrire un script qui générerait un texte à partir des déambulations sur Google Street View. C'est un peu ce que fait James Bridle dans son projet A Ship Adrift, qui compile des extraits géolocalisés de textes de Wikipedia et Twitter collectés au gré des déplacements d'un bateau virtuel.
 
3. Smartwatch des marées
Nixon Tide. Une gamme de montre qui a été, comme le dit le site, "Swiss engineered" pour indiquer les marées. La cadran, avec une espèce d’histogramme aussi minimal qu’élégant, forme une représentation graphique des cycles de l’océan. C’est peut-être un des rares modèles de smartwatch qui a attiré mon attention ces derniers temps. Au vu d’un certain nombre de poignets observés ces derniers jours, l’objet semble avoir son importance chez des personnes croisées ici (Hossegor): les surfers surtout, mais également quelques pêcheurs. Les informations proposées paraissent convaincantes pour leurs utilisateurs, même si quelques-uns soulignent la précision toute relative de celles-ci et que ces cycles peuvent globalement être mémorisés. Pour ces personnes, l’usage de ces montres semble se substituer à d’autres sources auparavant présentes sur d’autres médias (presse, internet, etc.). Mais je n’ai pas eu le temps de rentrer dans les détails et de saisir s’il s’agit uniquement d’un gadget de néophyte.
 
Quoi qu’il en soit, même si c’est le cas, ce type de smartwatch me parait curieux dans le sens où les informations proposées sont extérieures à l’individu. Il ne s’agit pas d’une mesure de soi (Quantified Self) mais d’une sorte d’outil informant les usagers sur un état du monde pertinent pour leur activité (en informatique, il y a tout un courant qui étudie ce genre de choses dénommées “awareness tool”, terme qui sonne très JCVD-esque en français). Il s’agit donc de données contextuelles, synthétisées et affichées sur cette visualisation. On peut du coup imaginer que certains en ont un usage contemplatif (un montagnard des alpes souhaitant se représenter le rythme des marées?), d’autre un usage plus direct comme une sorte d’outil d’aide à la décision. Dans les deux cas, comme beaucoup d’objets météorologiques (ce que l’on appelle “weather totem” au Near Future Laboratory) de type baromètres ou girouettes, les usages sont plus complexes qu’on ne l’imagine… et surtout héritent de toutes sortes de pratiques plus anciennes (regarder un baromètre avant de se coucher pour se rassurer quant à la météo du lendemain par exemple). On peut donc imaginer d’autres aspects évocateurs dans le design de ce type de smartwatch… et se dire qu’un objet qui permet de mieux "lire le monde”, c’est de toute manière intrigant en soi.
 
Une autre réflexion que m’évoque cette gamme de Nixon Tide, c’est la grande diversité des modèles. On ne sait pas bien au juste ce que recouvre ce terme, hormis le fait qu'il doit y avoir du “smart”, c’est-à-dire des capteurs quelque part (pas forcément dans la montre comme en témoigne cet exemple) qui produisent des données, du calcul (computation) et un variété de représentation synthétique des données recueillies. On pourrait éventuellement rajouter ce que le designer de PARC Mike Kuniavsky appelle une ombre informationnelle (“information shadow”), c’est-à-dire une plateforme Web qui fonctionne comme le pendant en ligne "des choses que fait la montre” (production de données et autres). Mais on voit bien qu'entre cette Nixon, des Withings Activité, ou une Suunto d’il y a dix ans (c’était déjà des smartwatch n’est-ce pas ?), on peut ratisser large avec cette terminologie.
 
Et ce qu’il y a de plus étrange c’est que derrière le mot “smartwatch” il y a parfois une confusion entre un potentiel technique, c’est à dire les caractéristiques que je viens de citer, et des usages tels qu’enregistrer le nombre de pas fait quotidiennement, regarder les cycles de marées ou jouer à Zelda – comme dans le cas de cette montre de la gamme Game and Watch de Nintendo des années huitante que j’ai sur mon étagère. Cette confusion rappelle d’ailleurs la distinction proposée par le sociologue Patrice Flichy dans son livre “L’innovation technique” entre “cadre de fonctionnement” et “cadre d’usage”. Comme il le souligne, les deux sont “les deux faces d’une même réalité” mais bel et bien distinctes. Même si cette nuance semble tomber sous le sens, elle est intéressante, car elle permet de mieux décrypter les discussions actuelles sur le thème des montres connectées. Je pense en particulier aux débats présents actuellement en Suisse sur l’importance (ou non) des changements en cours. Suivant les points de vue, entre un PDG de Swatch très sûr de lui et des consultants soulignant le raz de marée à venir, il y a l’air d’avoir beaucoup de confusion entre ces deux aspects, fonctionnement et usage. Une des raisons possibles, c’est la référence quasi systématique au dernier traumatisme de l’industrie horlogère: l’arrivée des montres à quartz, en particulier japonaises, en fin des années septante. Le souvenir du cataclysme de l’époque (pour les marques Européennes) est mobilisé par certains pour avertir de l’imminence d’un choc similaire. Mais peut-on aussi faire l’analogie ? Disons que l’arrivée de l’affichage à quartz relevait d’un changement de cadre de fonctionnement, avec une légère modification du cadre d’usage (affichage de l’heure surtout, quelques exemples de smartwatch type montre calculatrice CASIO)… et qu’aujourd’hui il y a un éventail de possibilités techniques plus large encore (cadre de fonctionnement) menant à un cadre d’usage encore plus élargi. Est-ce que ce genre d’analyse peut nous indiquer le succès des smartwatches ? Je ne le sais évidemment pas, mais quand je lis les interviews de patrons de marques horlogères, les textes produits par les analystes financiers et les commentateurs divers, il semble qu’il y ait beaucoup plus de discussion sur la révolution que représente le cadre de fonctionnement qu’une discussion précise sur comment une smartwatch vient s’insérer dans les pratiques des gens, et dans l’instrumentarium technologique qu’ils ou elles possèdent… Et ce dont on peut être certain c’est que l'élargissement double du cadre de fonctionnement et d'usage rendent difficile l’avènement à court terme d’un unique type de smartwatch. Il y aura plutôt des smartwatches, dont certaines avec des usages de niche porteurs comme la gamme Nixon Tide.

au revoir, et à bientôt
nicolas
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