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1. Expressions idiomatiques
  • Prouster : terme employé dans Cosmopolis (Don DeLillo) et faisant référence à l’insonorisation d’un véhicule (une limousine dans le roman) à la manière des plaques en lièges apposées par Marcel Proust dans son appartement.
  • ​Mickeymousing: une technique de musique de film qui souligne chaque événement du film par la bande sonore, mais ce terme s’utilise aussi en danse contemporaine quand le ou la performer a un rapport son/geste trop évident (merci S.B.).

2. Bestiaire d’amiibo
Il me semble qu’il est impossible de parler de numérique aujourd’hui sans aborder les Amiibo (アミーボ), ces petites figurines qui permettent de jouer à des jeux sur divers produits de Nintendo. En utilisant une technologie de communication de radiofréquence de proximité (NFC pour "Near Field Communication”), les figurines peuvent échanger des données à faible distance pour interagir avec le Wii U GamePad ou la New Nintendo 3DS/XL. Suivant les jeux, cela permet par exemple d’obtenir des bonus (armes, vêtements/skins), à accéder à des contenus supplémentaires, avoir des pouvoirs originaux, etc.
 
Il y a plein de choses à en dire. Quelques constats rapides ci-dessous.

Le phénomène le plus visible, et donc le plus abordé, concerne les enjeux autour de la collection de ces figurines. La rareté de certaines – en partie celles ayant des défauts de fabrication curieux sans être inesthétiques – et la sortie par vague des modèles créé une sorte de marché étrange entrainant de la spéculation financière (!), de l’attente et de la frustration. Les blogs regorgent d’ailleurs de comptes-rendus de fans énervés  (un bon résumé  ici). Et les pratiques sont aussi pertinentes à observer, voir par exemple les marottes de certains (faut-il ouvrir les boites en plastiques ? Est-ce que cela fait perdre de la valeur à l’objet ? Qu'en est-il de la personnalisation ? Qui n’a pas rêvé de rajouter du sang sur les habitants gentillets du monde d’Animal Crossing ?). Un effet de bord intéressant également : la multiplication de plateformes et d’outils pour suivre (et pister) la disponibilité des Amiibo. C’est le cas de  Nowinstock. Même si ce service fonctionne évidemment pour de multiples objets, il y a une telle activité autour des figurines de Nintendo qu’il est littéralement fascinant d’observer l’activité de ce site et ses éléments d’interfaces. Une étude de cas en devenir pour toute école de commerce.
 
Puisque l’on est dans les sciences de gestion, le cas des Amiibo est aussi pertinent du point de vue la logique d’innovation sous-jacente. Il s’agit en effet d’un autre exemple d’entrant tardif (latecomer) qui réussit mieux que ses concurrents précurseurs (Skylander entre autres). Mais, contrairement à d’autres entreprises qui ont réussi ce genre de coup (on pense à l’iPod chez Apple qui n’était de loin pas le premier entrant), Nintendo possédait clairement une partie des compétences nécessaires, puisqu’il s’agit d’une société centenaire dans le champ du jeu/jouet, que la logique de collection, hé bien, cela existe depuis un bon moment autour de licences de propriété intellectuelles antérieures, et que les expérimentations technologiques avec du NFC existent depuis un bon moment chez eux.
 
Dernier point intéressant concernant les Amiibo: les pratiques des joueurs et la logique d’interaction. On n’en parle alors que c’est peut-être tellement évident, mais au fond, pour quelqu’un comme moi qui s’intéresse à l’évolution des interfaces et des périphériques vidéoludiques, c’est quand même curieux. On voit bien là une complexification croissante de l’objet: de la manette on passe à la manette avec écran intégré (Wii U), avec une couche supplémentaire de figurines que l’on pose dessus (et l’étape suivante est vraisemblablement l’utilisation de  cartes). Et cela dans une temporalité somme toute assez courte si l’on pense au temps qu’il a fallu pour passer d’un joypad basique (celui de la NES par exemple) à une interface telle que celle de la Playstation (10-15 ans). Et alors que les joypads sont des objets plutôt stables, on voit ici apparaitre une branche qui : 1. évolue de façon fascinante en peu de temps, 2. propose ce que l’on pourrait nommer une “interface en série” (télévision > manette WiiU > Amiibo). Les figurines (et les cartes potentiellement) sont des sortes d’interfaces secondaires proposant un écosystème d’interaction. Il serait intéressant de se demander si ce type de phénomène pourrait se retrouver en dehors du champ ludique qui est souvent en pointe sur l’expérimentation. C’est une direction intéressante par exemple dans la création de contenus (musique, vidéo) par exemple.
 
Reste finalement une interrogation, faut-il mettre un s au pluriel d’Amiibo, ou est-ce qu’Amiibo est le pluriel d'Amiibii?
 
3. Enregistrement versus effaçage
 
Suite à  mon topo de l’autre jour concernant les pratiques d’effaçage des contenus sur les réseaux sociaux, l’un d’entre vous a réagi en indiquant qu’il s’agit d’un phénomène intéressant, mais qui vient en contradiction avec la "logique d'enregistrement de tout ce que nous produisons (a minima), voire de tout ce que nous lisons, consultons, recevons” (je le cite). C’est effectivement le cas lorsque l’on observe les pratiques a priori. Mais la collecte de données systématiques de plus en plus étendues n’empêche absolument pas des pratiques d’effaçage de ces contenus de manière assez organisée et systématique.
 
Trois remarques du coup. D’abord, on pourrait se dire que ces phénomènes ne sont pas antithétiques, et que l’élagage relève justement d’une réaction à cet enregistrement effréné, d’une forme de reprise de contrôle. Second commentaire, et corollaire de ce dernier point, il est également intéressant de voir que ce type de pratique n’est pas forcément généralisée, et nécessite une prise de conscience (réflexivité?) de genre d’enjeux, de problèmes, ou de besoin de se réapproprier les choses par les personnes qui font cela. Et cet effaçage renvoie aussi à une certaine maîtrise des outils (tout effacer versus masquer des contenus sans les faire disparaitre). Et enfin, imaginons aussi qu’il s’agit de deux pôles avec toute une gamme entre les deux… avec, et on le constate pratiquement, des effaçages ciblées sur des moments, ou des types de contenus particuliers. Et, au sein de mes contacts Twitter ou Facebook, des “disparitions” régulières: certains de mes contacts peuvent bazarder leurs comptes, les mettre en pause, ou rouvrir d’autres profils (parfois masqués…).
 
Au fond, tout cela souligne la complexité des situations et la nécessité de dépasser les oppositions trop simples entre “grandes tendances”. Et du point de vue du design d’interfaces ou de services, cela montre l'éventail des possibilités, en lien avec l’émergence de toutes sortes de services qui permettent de gérer/effacer/ramener des traces antérieures; et qu’il n’y a pas une seule manière de vivre avec celles-ci.
4. Brèves et miscellanées
- Dans un article présenté cette semaine à la conférence CHI, des chercheurs de chez Yahoo! Labs à Sunnyvale, décrivent les résultats d’une étude sur les carnets d’adresse des smartphones. Dans leur échantillon, les participants ne reconnaissaient pas 29% des noms inclus dans ces listes, et 80% de leurs appels et messages étaient échangés avec pas plus de cinq personnes… ce dernier résultat était plus ou moins du même ordre dans des études antérieures il y a dix ans (Battestini et al., Grinter and Eldridge, Ito).
- Pour les personnes qui sont restées sur leur faim en lisant le rapport d'Accenture sur la maison connectée peuvent se rasséréner en regardant les récents projets de Space Caviar. En particulier le livre sqm The Quantified Home, et leur projet montré cette semaine au Salone del Mobile à Milano:  RAM House. Ce dernier contenant la citation suivante qui résume les enjeux actuels: "Does your home have an airplane mode?”.
- Après la lecture de cet  article de la BBC concernant le cerveau de Einstein, et en repensant à cet ouvrage sur le crâne de Mengele (j’ai conscience que mettre côte à côte Einstein et Mengele est particulièrement malvenu) ou à ce  livre sur la disparition de la tête robotique de Philip K. Dick, il y aura vraiment de quoi faire un documentaire sur les têtes célèbres...

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nicolas
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