Salü!

1. Expressions idiomatiques
  • apnée de l'email : le fait d'arrêter momentanément sa respiration lors de l'écriture d'email ou avant de voir s'afficher les messages reçus.
  • anachornisme (en anglais Anarchronism): mot valise formé des termes "anachronisme" et "anarchie", vu à propos de l'exposition éponyme à iMal, Bruxelles, et désignant des pièces artistiques qui vont à l'encontre des distinctions binaires numérique/analogique ou ancien/nouveau en utilisant des éléments soi-disants obsolètes et analogiques mêlés à des logiques plus contemporaines.
2. Smartphone : un inventaire

Ecouteurs. Earbuds. Earpods. Casques. Bonnet écouteur bluetooth. Kit mains-libres donnant un air d'espion. Hauts-parleurs. Enceintes vociférantes. Chargeurs. Extension de batterie. Cable de recharge. Adaptateurs pour cable de recharge sur allume-cigare. Adaptateurs VGA, DVI que l’on perd constamment. Clavier parfois plus volumineux que l'appareil. Pochette. Pochette avec dragonne pour ne pas laisser tomber l'appareil. Lunette 3D pour se donner mal à la tête en lisant le Web. Perche à selfie. Perche à selfie en forme d’avant-bras ((étrange réminiscence de Robert Gober)). Boîtier de plongée pour prendre des photos sous-marines on sait jamais. Brassard de course. Support pour celles qui lisent en mangeant. Support-ventouse pour la voiture. Support pour microphone. Gants pour écrans tactiles parce que cela ne marche pas avec les autres paires. Télécommande de smartphone pour ceux qui doivent déclencher des choses à distance. Poignée pour mieux filmer. Trépied pour être plus précis. Manettes de jeux connectables parce que ras-le-bol du tactile. Partageurs d’écran. Objectif photographique… sans oublier la boite originelle (packaging) dont on ne sait pas trop quoi faire.

Une variété d’objets liés au smartphone. Un inventaire peut être incomplet ((quelqu’un ici a repéré des oublis ?)). Un bestiaire qui s’allonge à chaque fois que je me penche sur la question. L’illustration de la complexité de l’écosystème du smartphone regardé ici uniquement sous un l’angle des artefacts évidents. Il faudrait prendre chacun d’entre eux et réaliser le même genre d’analyse. Par exemple les écouteurs ont à leur tour une housse ou même des bidules permettent de les ranger sans embrouillamini, les casques ont leurs étuis, les claviers leurs connecteurs... ((tout cela me rappelle un premier job d'assistant game designer dans lequel on m’avait demandé de décrire une *étoile d’animation, une sorte de description de la multiplicité des comportements d'un personnage à animer dans une scène de jeu vidéo.)). Et les appcessoires ? Et les infrastructures (électrique, géolocalisation, télécommunication, bornes WiFi, bornes Bluetooth, capteurs NFC...) ? Et les infrastructures plus molles (opérateurs…) ? Et les objets liés aux opérateurs (contrat, plaquettes publicitaires, cadeaux…). Et...

3. DESTRUCTEUR SHREDTECH MDX1
L’un des cafés genevois dans lequel je me rends souvent est situé dans le quartier des banques; ce coin de la ville sur la rive gauche qui réunit quelques enseignes de banque privée ou de négoce. Si la plupart des opérations qui se déroulent dans ces établissements sont discrètes, il en est une qu’il est facile à observer depuis la terrasse du café du coin : la destruction de documents. Un camion gris, modèle DESTRUCTEUR SHREDTECH MDX1, s’arrête à proximité du lieu demandeur, et un fascinant ballet se met en branle. Globalement, le fonctionnement est on ne peut plus simple : les documents à détruire sont amenés vers le camion, éventuellement pesés sur une sorte de balance installée sur le trottoir servant visiblement à évaluer la quantité de papier à introduire ensuite dans une protubérance du véhicule. Ensuite, l’opérateur s’approche d’une interface de la marque Shred Tech à l’ergonomie minimaliste munie de boutons (“Start”, “Stop”, “Reset”, “Light”, “Up”, “Down”) et surtout de trois vumètres (“Shredder”, “Compactor” et “Bin Tipper”) contrôlant le déroulement du processus de destruction.

L’affaire est rondement menée puisque tout cela ne dure en général pas plus longtemps que les brefs rendez-vous que je peux faire dans ce coin. Le  site du prestataire en question nous indique en effet une “capacité importante de destruction, en moyenne 800 kilos à l’heure”, ce qui doit être quelque chose s’ils le mettent ainsi en avant. Sur ces pages Web, on peut aussi se rendre compte des enjeux pour les clients puisqu'une myriade de détails nous est présentée, de la possibilité d’une procédure conjointe entre le client et le prestataire, le respect d’une certification (DIN 66399-2, degré de sécurité P4) réalisée par une enseigne de la rive droite (la SGS) jusqu’à une fenêtre pop-up montrant la taille des confettis obtenus. On peut noter aussi la possibilité de détruire toutes sortes de choses en dehors du format papier, les disques durs en particulier. La partie la plus riche du site reste cependant le "centre de ressources" qui fournit précisément, et avec quelques données chiffrées, une liste d'arguments en faveur d’une destruction de documents de qualité : l'usurpation d’identité médicale, les risques liés à l’utilisation d’un shreddeur de bureau, ou l'activisme des lanceurs d’alerte (dont a été victime une enseigne à quelques centaines de mètres) avec une sorte d'analyse psychologique. 

C’est tout un monde que l’on découvre ici, dont il serait intéressant de reconstituer la trajectoire et la constitution, en lien ou non avec les métiers et compétences qui sont mobilisés. La destruction de documents est une expertise comme on le voit ici, et l’équivalent numérique de tout cela apparait ici aussi en pleine lumière. Au-delà de la destruction de disque dur, comment détruire documents, données, transactions en lignes, sur de multiples plateformes. C’est tout un ensemble de métiers qui se constituent autour de ces questions, à la fois pour des clients professionnels, mais aussi pour des particuliers.

A ce propos, l’artiste  Hasan Elahi qui a choisi de publier le maximum de données personnelles afin de montrer au gouvernement américain qu’il n’est pas un terroriste pourrait imaginer une performance inverse et tenter de détruire toutes celles-ci, à la même manière de The KLF qui avait demandé à sa maison de disque en 1992 d’effacer tout leur back-catalog: "For the foreseeable future there will be no further record releases from The Justified Ancients of Mu Mu, The Timelords, The KLF and any other past, present and future name attached to our activities. As of now all our past releases are deleted.

4. The Teacher of Algorithm
Simone Rebaudengo, un designer rencontré à Belgrade il y a peu et dont j’avais repéré le travail avec Usman Haque ou Matthieu Cherubini, m’a envoyé cette semaine une vidéo d’un de ses projets. Cela s’appelle “ The Teacher of Algorithm” et c’est un de ces exemple de spéculation du quotidien qui me parle beaucoup. Ce court-métrage se déroule à Shanghai, où vit Simone, et aborde notre relation avec les objects connectés. La vidéo met en scène un protagoniste décidément énervé du fait du démarrage intempestif de sa machine à café. Celle-ci se déclenchant de façon répétée ou en plein milieu de la nuit. On comprend ici que cette machine-qui-devrait-être-intelligente ne l’est pas vraiment et qu’elle a besoin de plus qu’une simple tape sur la tranche – un geste que le protagoniste réalise avec dépit – mais qui ne lui permet de résoudre le problème. C’est après avoir acheté du lait dans une supérette du coin qu’une solution se présente : les services d’un “teacher of algorithm”. On suit alors le personnage dans un Shanghai qui passe d’un paysage de gratte-ciel-grisaille à celui d’une sorte de capharnaüm plus couleur locale, pour arriver dans l’antre du dit réparateur. Un individu à catogan apparait alors à l’écran, en train d’entrainer un aspirateur automatique muni d’une baguette en bois, symbole de l’enseignement à la dure. Il explique à notre protagoniste comment il arrive à remettre ce robot dans le droit chemin avec des stratégies toutes simples expliquées brièvement avec une combinaison de diagrammes et de coups de baguette sur l’aspirateur en question. Il souligne aussi que ces objets – montrant une étagère remplie d’appareils électroménagers – sont censés être “smart” mais qu’ils ne le sont pas encore. Il indique aussi que les gens aujourd’hui ne veulent pas prendre le temps de le faire, et que comme d’autres entrainent des enfants ou des animaux, lui a choisi les objets... concluant ensuite sur le fait que bien souvent la panne des objets "reflect the problems of their owners".

((ce qui m'a fait finalement penser à cette conférence de Vilém Flusser "Comment notre crise existentielle se manifeste-t-elle dans nos appareils ?" dont je parlerai une autre fois.))

La vidéo aborde d’autres sujets, et je suis volontairement réducteur ici. Mais elle est un fascinant exemple de design fiction qui imagine la banalité d’une situation nouvelle, celle qui correspond au besoin de devoir entrainer des objets à avoir un comportement adéquat. Une situation finalement pas si éloignée de l’achat de personnages de jeu en ligne ayant déjà acquis certaines compétences, et qui semble plausible si l’on pense à la nécessité d’entrainer des programmes avec des algorithmes d’apprentissage (dit "supervisé") en intelligence artificielle. L’intérêt du travail de Simone réside dans la manière dont tout cela nous est présenté, de façon claire et contextualisée dans le Shanghai d’aujourd’hui. L'absence d'accessoires très *futuristes* est aussi à relever. Elle montre ici la manière dont la technologie se diffuse dans les objets, sans forcément de recours aux artifices classiques des vidéos spéculatives (effets visuels et sonores).

OK.

Mais même après avoir regardé trois fois le court-métrage, j'entends une voix dans ma tête. Une voix qui me pose la même question que lorsque je présente des projets de design fiction comme  Curious Rituals ou le  catalogue d'objets fictifs TBD. Une voix du mâle alpha de la scène start-up (souvent le cas) qui dit en gros "OK les gars tout ça c'est bien sympa et rigolo mais why should I care about that for my business?" (version sympa) ou "WTF?" (version laconique). Ce n'est pas forcément une mauvaise question, le genre de choses que l'on nous demande fréquemment au Near Future Laboratory. A tel point que c'est devenu le thème d'un de nos channels Slack. Si l'on est un fabricant de robots ou de produits électroménagers c'est une bonne question. La réponse à cette question vient peut être d'une meilleure compréhension de l'objectif de ce genre de projets et qui consiste à explorer les conséquences au quotidien d'un certain potentiel technologique en les représentant de façon accessible.

On peut voir cela avec une dimension de commentaire ou de critique de produits ou de l'état de la société à un moment donné (c'est déjà pas mal). Mais on peut aussi se dire que cette forme de critique peut contribuer à améliorer les choses (aussi positiviste que cette attitude puisse paraitre) : anticiper des erreurs, des problèmes, des enjeux cachés, etc. "The Teacher of Algorithm" renvoie justement à cette dernière catégorie. Il montre comment l'apprentissage des systèmes de fonctionnement, de recommandation ou d'ajustements inclus dans les objets connectés va mener à des situations nouvelles ou imprévues... souhaitables ou non... Si l'on est par exemple une équipe de conception (développeurs-designers-marketeurs ?), on peut tout à fait s'imaginer travailler sur comment éviter ce type de délégation à un tiers (par exemple en transformant le produit, en expliquant mieux aux utilisateurs comment faire cette phase, il y a bien des niveaux d'introduction dans les jeux vidéo) OU la renforcer éventuellement en proposant des services de ce genre (pourquoi pas ? si cela permet d'améliorer l'utilisation; cela intéresse aussi peut être la personne en charge de renforcer le modèle d'affaire avec des pistes nouvelles. On donne bien des cours dans les Apple Store).
 
Voilà pour le moment.

++
nicolas
(commentaires/circulations bienvenues par email et autres)