Hallo,

1. Expressions idiomatiques
  • egofatigue : la fatigue de voir son nom rédigé à chaque entrée de mot de passe, ou de voir son visage pendant des communications en visioconférence (Skype, Facetime, etc.)
  • Screenshorts : terme désignant l’inclusion d’images contenant un paragraphe de texte placé dans un tweet, une manière de contourner la limite de 140 signes.
  • MIDI noir (black MIDI): un genre de musique composée avec une interface MIDI (Musical Instrument Digital Interface) et dans laquelle un nombre démentiel de notes est placé sur la partition (à telle point qu’on ne voit plus qu’un agglomérat indescriptible sur celle-ci)…rendant le morceau si complexe que seule une machine peut le jouer. A ne pas confondre avec Black ICE.
  • Turbomédia : Un récit en images où la vitesse de lecture est contrôlée en cliquant sur les flèches de son clavier, la bande-dessinée non plus page après page, mais en termes d'écrans qui se suivent ((proche de mes remarques sur les pratiques de lecture de BD lues sur YouTube dans une édition précédente de cette newsletter).
  • Salons de toile (trouvé dans “Rêves de Gloire” de Roland C. Wagner): lieu dans lequel on propose aux personnes d'accéder à Internet, et par extension au Web (cybercafé).
2. L'abandon des podomètres

C’est un résultat maintenant connu, mais toujours intéressant à évoquer : l’utilisation des podomètres et des bracelets connectés décroit rapidement dans le temps. Plusieurs études l’ont montré dans les deux dernières années. CCI Insight révélait l’an passé que 40% des possesseurs de podomètres et montres connectées arrêtaient de les utiliser. En particulier, car ils se lassaient de leur usage, qu’ils oubliaient de les mettre ou que les fonctionnalités de ceux-ci étaient trop limitées. De leur côté, les quants du cabinet Endeavour Partners indiquent que 50% des possesseurs les abandonnent au bout de quelques mois. Malgré la difficulté d’avoir des chiffres stables, on voit bien ici le contraste entre des chiffres de vente gargantuesques (d’après NPG Group, 3.3. millions ont été vendu aux Etats-Unis entre avril 2013 et mai 2014, avec une croissance de 500% en quatre ans) et une utilisation limitée dans le temps. Un tel écart montre du coup que le jugement que l’on peut porter sur le succès d’un produit est discutable suivant les indicateurs que l’on prend. Si certains se contentent des chiffres de vente, il me semble plus intéressant de me pencher sur les usages et la manière dont ils se déploient dans le temps. Un ami chercheur en sciences du sport m’indiquait même que certaines études dans le domaine de l'activité physique ont montré un abandon de plus de 80% à deux ans...
Dit autrement, c’est une chose de vendre, c’en est une autre de créer une expérience durable ((le mot ‘expérience’ est dans omniprésent dans les discussions ces derniers temps)). Et l’objectif de Jawbone, Fitbit et al. n’est pas juste de vendre des produits qui resteront dans des cartons ou finiront sur eBay. Cela implique différentes choses : mieux comprendre comment ces produits sont utilisés ou non, et comment ils s’insèrent ou non dans des habitudes de vie; et penser l’évolution des fonctionnalités de ces objets. Sans réaliser d’études couteuses, on peut par exemple aller regarder des publications académiques du genre "Beyond Self-Tracking and Reminders: Designing Smartphone Apps That Support Habit Formation" de Katarzyna Stawarz et ses collègues. C’est un article (parmi d’autres) qui se demande comment amener des effets à long-terme chez les utilisateurs de ce genre dispositif (leur étude, qui durait 4 semaines, a consisté à explorer l’influence de différentes formes de rappels ou de notifications). La lecture de ce genre d’article et les statistiques citées plus haut font globalement prendre conscience qu’il est extrêmement exceptionnel de déléguer ce genre de coaching à une app, aussi sympathique/ludifiée soit-elle. Cela n’empêche pas des chercheurs comme Florian Müller de l'Exertion Games Lab en Australie d’explorer comment des drones – des quadcopters pour êtres précis – pourraient servir de “jogging companion” pour indiquer le chemin à prendre, donner un rythme, ou s’assurer de l’amélioration des performances...

3. kARleidoscopie
Passage rapide au marché aux puces mercredi dernier. Comme souvent dans ce genre de situation je tombe sur des artefacts évocateurs et qui incitent à revisiter des technologies actuelles. Cette fois-ci, c’est une petite caisse contenant différents objets de type longue-vue, kaléidoscope, appareils à diapositives, stéréoscopes qui a retenu mon attention. Il s’agissait en gros de machines dans lequel on fourre ses yeux pour regarder des choses plus ou moins proches construites, plus ou moins réalistes. J’achète parfois certains objets de ce genre – que je mets de côté et qui resurgisse à la faveur d’un changement de bureau – et je trouve intéressant de regarder dedans, de les manipuler, et de me demander quelles images pourraient être visionnées avec ceux-ci. Or, après de multiples échanges cette semaine avec des étudiants – c’est la période de discussion des projets de l’an prochain – des clients ou des collègues au sujet de la réalité augmentée (AR), je me suis rendu compte que ces objets n’étaient guère mentionnés ou discutés à propos de ce thème.

Et cela, alors qu’il y a un lien évident entre ces dispositifs et la notion de réalité augmentée prise ici dans le sens très restreint que lui ont donné des informaticiens et des chasseurs de tendance, c’est à dire "les systèmes informatiques qui rendent possible la superposition d'un modèle virtuel 3D ou 2D à la perception que nous avons naturellement de la réalité et ceci en temps réel. Elle désigne les différentes méthodes qui permettent d'incruster de façon réaliste des objets virtuels dans une séquence d’images.” (définition qui vient de la Wikipedia francophone). Passons sur le fait que la perception semble se cantonner chez ces gens-là au sens de la vue dans cette définition de la “réalité” – dans la page Discussion un certain Pantoine indiquant cependant le 4 octobre 2007 "Attention le concept de réalité augmentée ne s'applique pas qu'aux images !”. Je trouve plus intéressant de m’interroger sur le potentiel des objets mentionnés plus haut comme interface privilégiée de visionnage du monde.

Si je suis peu convaincu par la floppée d’apps de réalité augmentée, je trouve néanmoins intrigant d’imaginer comment partir d’un kaléidoscope ou d’une longue vue pour créer un dispositif de vision curieux et original. Leur forme, leur mode d’utilisation, leur affordance… sont précisément pertinents et correspondent à un usage historique – plus que de tendre son bras en l’air avec un téléphone mobile – et donne matière à réfléchir. La manière dont un kaléidoscope fournit aussi une image complexe et pas forcément la reproduction d’objets réels avec la lumière environnante est intéressante. C’est d’ailleurs un des rares appareils dans lequel on place son oeil et qui nous fait du coup “perdre du regard” l’environnement immédiat – un phénomène rigoureusement inacceptable par les usagers de casques immersifs comme je l’ai pu expérimenter avec un des lecteurs de cette newsletter lors d’une étude de terrain. Une exception intéressante et historique, mais qui ne se produit peut être que parce que le visionnage du micro-monde situé dans le kaléidoscope reste fugace et ponctuel.

Note pour plus tard: trouver une histoire du kaléidoscope.

Et concernant les longues vues, je m’étonne même qu’un designer steampunk-oïde n’ait pas sorti un appareil de réalité augmentée avec cette forme; par exemple pour une visite du Londres victorien dans la capitale britannique...

4. Saint Isidore de Séville

Et pour terminer, juste une série de remarques sur la découverte de Saint Isidore de Séville, qui n’est rien de moins que le saint patron des ordinateur, et par extension des informaticiens, des utilisateurs de l’informatique, de l’Internet et des Internautes. Le cheminement de pensée qui m’a amené vers ce bon vieil Isidore est simple puisque je lisais un article de la nouvelle livrée de la revue Socio-anthropologie qui concernait en partie Saint Expedit; un personnage qui me fascine depuis que je l’ai croisé à la Réunion et en Louisiane, représenté sous la forme d’une petite statue de légionnaire romain et qui la réputation de répondre aux requêtes avec une grande célérité (il expédie)… et en particulier avant le passage d’examen scolaire ou du permis de conduire. Après avoir lu cet article qui concernait la difficulté de rapatrier une statue de Saint Expedit de la Réunion à Marseille pour les collections d’un musée (un problème d’éthique sur lequel je ne m’étendrai pas ici), je me suis instantanément demandé s’il y avait des saints pour des objets et pratiques plus contemporaines. Et évidemment, cela n’a pas raté, je suis tombé sur Saint Isidore.

Le premier aspect intéressant à ce sujet concerne le processus de désignation. Il semble que Saint Isidore ait été proposé en 2001 par le Service d'Observation d’Internet, une structure du Vatican appartenant au Conseil Pontifical pour les Communications Sociales. Ce service a jugé que Saint Isidore, de par son travail de compilation et de structuration des savoirs antiques correspondait à un travail proche de celui des personnes responsables de l’architecture de l’information sur Internet, et qu’il semblait pertinent du coup de le sélectionner comme patron. Son ouvrage en 20 tomes nommé « les Etymologies » préfigure en effet les modes de classements proposés plus tard. Une sorte d’architecte de l’information avant l’heure.

Seconde remarque, et qui est plus un questionnement, je me dis qu’il doit être fascinant d’explorer l’intersection des pratiques religieuses et les usages du numérique. J’ai lu ici et là des choses sur l’utilisation de PowerPoint dans les méga-églises étasuniennes, les astuces des juifs orthodoxes pour utiliser des technologies le jour du shabbat, le lien avec les morts grâce au téléphone, mais je n’ai pas regardé les relations avec les saints et autres pratiques votives. Il serait aussi pertinent de saisir ces phénomènes en cours de développement, et pas forcément uniquement là où l’on imagine les syncrétismes les plus vifs. Et cela pourrait commencer par une exploration de la culture matérielle, en allant par exemple se pencher sur les boutiques en ligne qui vendent des statues de Saint Isidore (qui n’a pour le moment pas encore pénétré le bestiaire Amiibo de Nintendo), les commentaires qu’en font les acheteurs, etc.

((Pour ceux et celles qui s'intéressent au service d'observation d'Internet dans cet Etat, il peut être intéressant de regarder cette vidéo de Sister Judith Zoebelein (Editorial director at Internet Office of the Holy See) que nous avions invité à Lift en 2007. Et je signale également l'annonce récente par le Pape François de l' ouverture récente d'un incubateur-accélérateur dans le champ des technologies éducatives et nommé Scholas.Labs, avec un soutien de Google, Microsoft, etc.))

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nicolas
(commentaires/circulations bienvenues par email et autres)