Hej!

1. Expressions idiomatiques
  • Oopart : terme employé en archéologie pour désigner les objets retrouvés hors de leur contexte de fbrication (ou d’usage); oopart étant l’acronyme de "Out of place artifact"
  • net-art doctor/docteur net-art : personne suffisamment experte pour réparer/refaire fonctionner des pièces d’art numérique d’une époque pas si éloignée mais qui rechignent à tourner.
  • Smileyhinweis (der) : terme allemand (der hinweis = indication, signal, allusion) désignant l’utilisation de smiley dans les avertisseurs de vitesse situés au bords des routes. Utilisable par extension pour la frénésie communicationnelle basée sur ce genre de signal allusif et potentiellement paternaliste.
  • Connectication : terme proposé par la chercheuse José van Dijck (dans la nouvelle revue social+media society) et modelé sur l'expression "Californication" (faisant elle référence à la diaspora des californiens dans les autres états US). Il indique l'afflux de plateformes développées en Californie et utilisées dans le reste du monde.
2. Variations sur le selfie
Quelques exemples de catégories de selfie rencontrées ces derniers jours dans mes sessions d’observation à Genève et Paris (avec les catégorie de codage correspondante), d'après mes notes de terrain :
  • SELFIE : selfie, avec l'attitude adoptée (#duckface, #underwear #badass etc.) ou le contexte (#bathroom #funeral #bookshelf #windowreflection etc.), et sa variante accidentelle (se prendre le visage sans le faire exprès).
  • SELFIE BODYPART : contorsion pour prendre en photo une partie du corps: #hairdo #ass #abs #beachfeet, #underboob #sideboob (ces deux derniers seraient-ils apparus suite à la censure du #boob?) etc.
  • GROUPSELFIE : group selfie avec un seul mobile (d'après The Telegraph le fabricant chinois Huawei a d’ailleurs déposé le terme “groufie” pour désigner la fonctionnalité permettant de faire des selfies en mode panorama).
  • DOUBLESELFIE : double selfie (deux personnes, deux téléphones côte à côte)
  • SELFIESTICK : selfie avec perche, et sa variante impressionnante à observer : prendre un appel téléphonique alors que le perche est toujours accrochée et allongée.
  • MIRROR : Le smartphone comme miroir, le selfie sans photo.
A compléter.

3. Idoru 1-2-3
L’an passé Dan Hon se demandait l’effet que lui ferait la relecture d’un classique de la science-fiction comme Snowcrash en 2015. Se replonger dans le cyberpunk vingt ou trente ans après semble être une saine activité, et je suis retombé de mon côté sur Idoru en rangeant ((réarrangeant)) ma bibliothèque. Pourquoi Idoru ? Premièrement parce que j’en ai de bons souvenirs. Et en second lieu car c’est un William Gibson de 1996 que je trouve sous-évalué, donc a priori intéressant à reparcourir dans le contexte actuel. Quelques aspects marquants des chapitres un à trois.

((Idoru raconte l’histoire des fiançailles entre Rez, un chanteur de rock, et Rei Toei, une intelligence artificielle, du point de vue Colin Laney, une sorte de détective des réseaux, et de Chia McKenzie, la présidente du fan-club US du groupe de Rez. Le tout à base de mafia russe, de hacker et d’un déluge de machins techniques en tout genre.))

L’aspect le plus marquant à première vue, à travers la description des activités de Laney, c’est la manière dont le livre aborde l’essence même du boulot de William Gibson depuis plusieurs décennies : ratisser toutes sortes de phénomènes de façon intuitive pour comprendre le monde et anticiper le futur proche, ce qu’il décrirait dans entretien plus tard avec sa célèbre phrase "Le futur est déjà présent, il n’est juste pas distribué de façon homogène.” Dans Idoru (p. 36) c’est plutôt: "Laney était l’équivalent d’un rhabdomancien ["dowser" en anglais], une sorte de sourcier sorcier de la cybernétique” ou “Il avait passé son temps à filtrer des flots de données indifférenciées, à la recherche de ‘points nodaux’ qu’une équipe de scientifiques français – tous fanas de tennis – lui avait appris à reconnaître." Et pourquoi ? On trouve peut-être la réponse dans la bouche d’un autre personnage rencontré au premier chapitre qui notait la description du costume d’une serveuse, cela donne "J’étudie ce genre de choses. J’ai pris l’habitude d’enregistrer tout ce qui est éphémère dans la culture de masse. Son costume pose la question suivante : est-ce un simple reflet du thème de ce club ou bien constitue-t-il une réponse plus profonde au trauma du tremblement de terre et à la reconstruction qui l’a suivi ?" Traduction : est-ce un épiphénomène ou révélateur d’un changement de plus grande envergure ? Le genre de questions que beaucoup ici se posent aussi quotidiennement en observant les signaux faibles correspondant à toute sorte de pratiques et situations liées à l’avènement du numérique, des réseaux, etc.

((C’est un thème récurrent dans la SF ces dernières-années, et cela fait immédiatement penser au personnage de Accelerando (Charles Stross), Manfred Mancx dont le gagne-pain repose sur ce filtrage : "...his profession, which is essentially coming up with whacky but workable ideas and giving them to people who will make fortunes with them. He does this for free, gratis. In return, he has virtual immunity from the tyranny of cash; money is a symptom of poverty, after all, and Manfred never has to pay for anything. There are drawbacks however. Being a pronoiac meme-broker is a constant burn of a future shock - he has to assimilate more than a megabyte of text and several gigs of AV content every day just to stay current"))

Ensuite, pour un ouvrage de 1996 relu en 2015, il est toujours amusant de regarder comment l’auteur aborde des objets techniques du futur proche. De ce point de vue là on est servi. Passons rapidement sur le parangon du cyberpunk : "des visiophones Thompson à caoutchouc renforcé” (p. 40 "eyephones" en anglais), "la mère de Chia, qui trouvait que sa fille passait trop de temps avec sa lunette et ses gants, …" (p. 25) faisant référence aux périphériques d’accès à la réalité virtuelle (si les lunettes à la Oculus Rift sont revenues ces temps-ci, les gants se font plus discrets). On a aussi des choses plus classiques : "Yamazaki écrivait frénétiquement sur l’écran d’un petit carnet, le stylo laser lançant de faibles éclairs dans l’obscurité" (p. 17), mais également cette sorte de pré-Internet des Objets : "… avant que le spot infrarouge de son réveil-matin ne commande silencieusement au spot halogène d’illuminer…" (p. 24), ou même du cloud computing : "la société en question possède une ou deux lignes de code dans la machine d’une arrière-salle de Lygon Street" (p.17).

Rétrospectivement tout cela nous parle. Phénomène des plus intéressants, ces appareils sont la plupart du temps évoqués en passant, rapidement. D’une certaine façon ils sont plus là pour poser le décor, comme marqueurs temporels d’un avenir proche. Cela dit, en 1996, toutes ces choses existaient déjà dans le commerce et dans les laboratoires d’informatique/IHM, sous des formes moins grandiloquentes. Reste cependant ce mystérieux "tissu cicatriciel rose" (p.15) qui n’est pas encore courant de nos jours; les tatouages-interfaces de Todd Coleman (UCSD) sont peut-être ce qu’il y a de plus proche d’un tel hybride corps/technologie. Et ma description préférée dans ces chapitres concerne ce superbe objet : “la mère de Hester les avait obligés à porter des casquettes de base-ball spéciales taillées dans un tissu résistant au rem, afin que leurs jeunes cerveaux ne fussent pas constamment immergés dans la soupe invisible des terribles médias.” (p. 25) Gibson a du élaborer cela à partir des différents projets de tin-foiled hats que l’on trouvait çà et là à l’époque (des chapeaux en papier aluminium censés protéger des ondes électromagnétiques).

Idoru appartient à la deuxième trilogie de Gibson, donc plusieurs années après Neuromancien et les autres. Et c’est un ouvrage écrit en parallèle de l’explosion du Web dehors de son contexte de naissance (le monde académique). Je suis du coup frappé par le fait que les objets techniques décrits, et les pratiques dans lesquels ils s’insèrent sont beaucoup plus terre à terre que dans sa première trilogie. Tout cela semble plausible. Et rétrospectivement plutôt proche des usages actuels. En tout cas plus que Snowcrash de Neal Stephenson sorti à la même période. Mais Gibson ne fait pas que recracher ce qu’il lit dans le Wired de 1995, il utilise ce matériau comme toile de fond pour en montrer, les conséquences. Tout cela m’intéresse pour saisir les relations mutuelles entre science-fiction et conception d’objets techniques (le design d’interface par exemple, sujet d’une exposition en cours de préparation). Une hypothèse du coup à creuser : la première trilogie autour de Neuromancien, parmi d’autres objets culturels cyberpunk et science-fictionesque, ont influencé les scientifiques, designers et développeurs, dont les productions, ont en retour nourri les écrivains cyberpunk (et la cohorte de scénariste, dessinateurs, auteurs de jeu de rôle). Idoru en serait le produit. Affaire à suivre donc dans la relecture-commentaire des prochains chapitres.

Merci de suivre Lagniappe, et à tous vos messages, réflexions, rebonds, encouragements, etc. J’essaierai de faire remonter ces éléments à la surface quand c’est possible.

5. Brèves
"AV 490 K TROP VITE” annonce un panneau de circulation surplombant la portion d’autoroute entre Nîmes et Montpellier alors que je me fais doubler par une Audi dont la plaque d’immatriculation est justement "AV 490 K”. Une sorte de stigmatisation publique légère et mise en place grâce à l’utilisation conjointe d’une caméra de surveillance rudement efficace (voir la vidéo "Robot readable world" pour s'en rendre compte) et d’un écran géant. La version sombre du smileyhinweis dont je parle plus haut. C’est un peu l’équivalent autoroutier et moralisateur de cette installation d’art public de Chris O’Shea qui consistait en deux gigantesques doigts apparaissant sur un écran urbain et saisissant une personne au choix dans la rue. Qu’est-ce que l’on peut imaginer à partir de là ? Afficher directement le nom de la personne (extrait de la base de données des conducteurs) ? L’utilisation d’une expression régulière à partir de plusieurs numéros de plaque (“AV 490 K devrait prendre modèle sur BF567 8K”) ? Prévenir la compagnie d'assurance pour moduler les primes ?
Revisionnage hier de "The Pirate Cinema" de Nicolas Maigret et Brendan Howell. Une sorte de collage visuel frénétique constitué de bribes de contenus interceptés sur le réseau Peer-to-Peer BitTorrent et formant un agglomérat sans fin composé de morceaux de musiques, d’extraits de films, de documentaires et de jeux vidéos, aux images parfois corrompues. Fascinant d’abord parce que cet espèce de gros mash-up renvoie aux logiques d’automatisation de la production culturelle en cours et à venir (sujet d’une livre sortant début juin sur lequel je travaille avec Joël Vacheron et ID-Pure). Et intéressant également sur le format lui-même. Je vois Pirate Cinema comme une forme de documentaire intrigant et très touffu sur la culture BitTorrent… dont les morceaux sont réagencés en fonction de logique machinique. Un exemple de format cohérent avec son objet pour une archéologie de médium actuel singulière.

Une citation formidable soufflée par Pierre Lemonnier rencontré récemment à Bordeaux : "Le premier artefact opérant fige le genre" dixit Jean-François Quilici - Pacaud dans la revue Technique et Culture. Formidable car elle décrit efficacement différents standards d’objets techniques tels que le clavier Qwerty(/Azerty/Qwertz…), le smartphone comme bloc rectangulaire noir, ou les joypads; et cela sans parler de dépendance au sentier (path-dependency).


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nicolas
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