Bonjour à tout le monde,
1. Expressions idiomatiques*
1. Expressions idiomatiques*
- Visionnage vertical ("vertical viewing”) : terme désignant le fait de regarder une vidéo sur un smartphone en mode portrait.
- Polfie (Police + Selfie) : le fait de se prendre en photo avec un policier en arrière-plan, par exemple en train de remplir le formulaire d'amende. Visiblement populaire au Sri Lanka, il s'agirait d'une manière de fanfaronner devant son cercle social (Source: Süd Deutsche Zeitung).
- Erlang : unité sans dimension, utilisée en téléphonie mesurant le taux d'occupation d'un équipement de communication (ligne, circuit, antenne) sur une période donnée. Un erlang correspond à l'occupation maximale d'un équipement permettant l'acheminement d'une seule communication téléphonique (comme un appel d’une heure ou dix appels de six minutes)
- Pommomanie : pratique consistant à coller un sticker de pomme croquée sur un équipement non-Apple (PC et smartphone Android).
2. Variations culturelles mobiles
Deux articles lus cette semaine sur des objets distincts, mais qui se rejoignent sur plusieurs points. Le premier est un texte sur Medium concernant l'utilisation manifeste des QR codes en Chine. Christina Xu, en pleine étude de terrain sur place, discute des usages avérés de cette technologie. Elle aborde cela en comparaison des Etats-Unis, où, dit-elle, l'utilisation de QR codes relève plus d'une rêverie optimiste d'artistes et d'agences publicitaires. L'auteur l'explique en soulignant que pour des utilisateurs chinois une URL (format alphanumérique) n'est pas forcément plus lisible qu'un QR code, et que le nombre de programmes lisant ces marqueurs visuels est beaucoup plus grand puisque les programmes Weibo ou WeChat en contiennent (comme si Whatsapp proposait cela d'office).
Le second article aborde l'usage massif des "voice memos" dans les échanges téléphoniques en Argentine, employés en VoIP en remplacement des SMS. C'est principalement l'app WhatsApp avec ces 11 millions d'utilisateurs qui permet cet échange peu onéreux, et qui commence par "“Paja escribir" (trop paresseux pour écrire). Si l'auteur mentionne le côté bavard et expansif des Argentins (un argument un peu faiblard), il relève aussi la dimension pratique de ces messages audio. Il est facile d'en envoyer en conduisant, en marchant ou dans tout type de situation qui ne demandent pas de pianoter sur le mobile. Cette pratique des conséquences diverses. En particulier, la facilité avec laquelle il est possible de partager les messages audio (ce qui n'est pas possible sur nos bonnes vieilles combox) provoque parfois des scandales, comme le "Escuchame fresco", une série de notes audio d'un type éméché qui ont depuis circulé pour devenir des mèmes internet dans ce secteur du WWW.
Que retenir de tout cela ? Premièrement qu'il existe une diversité de pratiques et de formes d'appropriation des technologies, et qu'on peut difficilement donner un jugement définitif et unique sur celles-ci. Je dis cela, car je ne suis ni convaincu par les QR codes, ni par l'envoi de messages audio (et c'est le cas de mon cercle social en général). Mais on voit bien ici que "c'est utilisé ailleurs". Deuxième point de réflexion, penser la question de la "différence culturelle" ne semble pas facile. Le mot fourre-tout qu'est "culture" n'aide pas, en raison de la diversité des enjeux qu'il recouvre. A ce propos, le récent ouvrage de Basile Zimmermann (Waves and Forms: Electronic Music Devices and Computer Encodings in China, MIT Press: Cambridge) est une lecture essentielle pour aborder ce sujet. Dans ce livre, l'auteur s'intéresse à l'usage de technologies (logiciels musicaux, réseaux sociaux) utilisées en Chine et conçus en-dehors de ce pays, proposant ensuite différents concepts pour penser ces circulations.
3. La lecture au temps des algorithmes
Cela faisait longtemps que je voulais creuser cette histoire de surlignage sur Kindle (📖📝), cette fonction "popular highlights Amazon" qui permet de surligner un passage, et évidemment de voir ceux des autres. Pour ceux et celles qui n’ont pas le truc en tête, cela se traduit par un trait pointillé sous la partie repérée, accompagnée d'un chiffre indique le nombre de personnes qui ont aussi surligné ce morceau (bienvenu dans l’ère du calcul). Le genre de chose qui me fascine lorsque je lis sur Kindle.
Sur le site d’Amazon, quelques commentaires sur cette fonctionnalité en font ressortir les enjeux. Ce n’est évidemment pas un échantillon représentatif de la population d’utilisateurs Kindle (il s’agit ici uniquement de ceux qui ont donné leur avis), mais on voit apparaitre plusieurs aspects:
C’est parfois la surprise et l’incompréhension comme le montre cet extrait "I thought I was going crazy because I was pretty sure I never highlighted anything on my first read. And it did feel like a used book." Cette réminiscence du livre d’occasion revient aussi régulièrement: "It is really annoying. If I buy a book I want to do my own highlighting - I feel like I have a second hand book. Think I'll go back to the library. Even though the books you check out are "used" they aren't marked up”.
Les raisons de cet énervement peuvent être multiples. Sont ainsi citées : la distraction occasionnée ("The underlined sections kept jarring me out of the story. It was like I was back in school studying for an exam every time I hit one.”, "I had no idea what was going on but found it really annoying. It kept taking me out of the book and distracting from the story.", "what a nuisance! When I'm reading I like to read! not have other stuff popping up."), l'illisibilité ("Just wish I didn't still have to read through the "shadowed" underlined highlights.”), voire l'absurdité ("I read a lot and some of it is just silly beach reading. I don't want every trite and cliche quote in those books highlighted”), ou encore le sentiment d’intrusion dans la vie privée ("So do I understand correctly that if I highlight something in a book I am reading, then Amazon uses it when someone else buys the book? If so, that is just WAY too Big Brother-ish, imho." "Still too creepy for me!”, "For me, revealing the exact words I've highlighted--no matter how anonymously--is much more intimate than revealing the fact that I (anonymously) purchased a book. I hardly ever highlight, and if I do, it's because a passage has moved me. I'm not happy about sharing that in public, no matter how anonymously.")
Mais tout le monde n’est pas nécessairement si critique, et certains lecteurs/lectrices offrent des réflexions intéressantes : "At first I did not like it but then I got interested in what others were highlighting. On the Kindle app it tells you how many people highlighted a section. The only drawback is that I feel seeing what others highlight influences me a little. I was finding that I highlighted a lot more than others and wondered why. I also found myself influenced to highlight sections that others had. I am not sure if this feature can be turned off on the Kindle app but ideally I would like it turned off while I am reading and then turned back on after to see what others highlighted in comparison to my own.” Une autre signale également que c’est ce genre de collecte de données qui fait tourner la société de Seattle : "While I respect those that feel differently than me, I can't for the life of me understand how this highlighting issue seems so personal to some people when your every move on Amazon (and other sites) is being monitored too. How else could they have recommendations for you based on your history or other people like you?"
Je n’ai pas spécialement de conclusion à ce stade, mais il me semble intéressant de saisir ces usages, de comprendre comment la lecture elle-même évolue. On peut par exemple s'interroger sur la façon dont ces surlignages peuvent modifier, ou non, la lecture. C’est ce que se demande cet observateur qui s’étonne que tant de gens aient pu surligner cette phrase mystérieuse "equant—in effect a second axis of rotation, off-center from the true axis.” du livre A More Perfect Heaven… et qui fait l’hypothèse d’une influence possible de ces surlignages sur la lecture, invitant des lecteurs même perplexes à le faire. Les lois de l’imitation ? On voit ici apparaitre la condition du lecteur contemporain.
Et de ce surlignage on peut d’ailleurs en faire toute sorte de choses curieuses, intrigantes (et certainement choquantes pour les amoureux du livre traditionnel). Il existe sûrement des projets de livre dont la taille/police dépend de ce genre de données collectées. Je n'en ai pas encore rencontré, mais d'autres s'amusent avec cela. C’est par exemple le cas du livre Networked Optimization de "Silvio Lorusso, Sebastian Schmieg and Amazon Kindle Users", ce projet artistique qui conserve UNIQUEMENT les popular highlights. On accède ainsi à des livres (papier) sur lesquels il ne reste plus que les phrases surlignées par les lecteurs. Comme le disent Silvio Lorusso et Sebastian Schmieg – les facétieux responsables de ce projet – l'idée était de montrer les conséquences d'une optimisation logicielle d'un procédé de publication réalisable et plausible. Il rappelle ainsi le microtravail (gratuit) effectué par les lecteurs responsables de ce surlignage et à la façon dont la lecture devient un processus de fouille de données (data mining).
4. Fragments
Jessica Helfand m'a fait parvenir son fabuleux "Reinventing the wheel", un livre entier sur la roue 🎡en tant que moyen visuel et interactif de représenter/manipuler des informations. Pour ceux qui ont joué au jeu vidéo dans les 1980-1990s et du manipuler ces curieux DRM en papier, cela rappelle des souvenirs.
Dans la livrée de projets du master Design Interaction du RCA (dernière volée avec Anthony Dunne), j'ai été frappé par le "Open surgery project" de Frank Kolkman. Il s'agit d'une exploration des conséquences du DIY (Do It Yourself) dans le champ de la chirurgie : quels outils et objets pourraient émerger en dehors du cadre réglementaire, et fournissant une alternative à une production couteuse. Du bon design fiction à regarder de toute urgence.
Onglets ouverts dans le navigateur World Wide Web : une enquête de Forbes sur les usines à jailbreaking de iPhone en Chine, un accident arrivé ou non entre deux véhicules Google sans conducteur, et SURTOUT deux textes sur les interfaces conversationnelles et les bots qui nous montrent que Test de Turing ou pas, une grande partie des interactions à venir sur les réseaux se feront avec des interlocuteurs dont on ne saura pas trop si ce sont des bots ou pas (vous vous souvenez de cet exemple dans le telemarketing).
Je suis tenté par la lecture du manuel de la Cyberbase Su 2000 ("a Virtual Reality console for use in a standing position") qui vient de tomber dans ma messagerie tout droit des années nonantes. Mais la fonctionnalité autoplay de la chaine radio du café où j'écris fait des choix musicaux décidément trop irritants, donc je décolle. La semaine prochaine, je reviendrai peut-être sur Idoru et des boulots en-dessous des API.
++
nicolas
PS : est-ce qu'il y a d'autres gens intéressés par ce bazar ? Faites suivre (⌒▽⌒)☆
((licence CC BY-SA 3.0 FR))