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Retour aux affaires courantes après le spécial Cuba de la semaine passée.
1. Expressions idiomatiques
Retour aux affaires courantes après le spécial Cuba de la semaine passée.
1. Expressions idiomatiques
- 3am invention : se dit d'une invention qui arrive trop tôt (Source: "My idea came too early, but that's just one of those things. I patented about 300 ideas, so that was just one of them. We call it a 3am invention - it arrived too early." Hiroshi Ueda à propos du selfie stick)
- Tsundoku : terme japonais pour faire référence aux piles de livres non-lus chez soi.
- Rebooteux : que je ne sais décrire autrement que par "cheap worker taking care of your internet of things objects' backend"
2. Du selfie-stick
Il y a trois ans lors d'un séjour a Los Angeles, j'avais croisé au détour d’une rue (Santa Monica Blvd/3rd Street à Santa Monica) une Ford Mustang occupée par un équipage criard et gesticulant. Le groupe en question semblait très occupé à s’agiter, en dirigeant cette enthousiasme non vers les nombreux piétons environnants, mais vers une caméra GoPro fixée sur le capot du véhicule. La présence d’un tel appareil sur une automobile m’était familière. Mais pas dans ce type de configuration, puisque la caméra était dirigée vers les passagers. A cette époque les selfies étaient peut être moins courants… et les accessoires pour GoPro et smartphone moins nombreux; ce qui m’avait paru incongru sur le moment, mais somme toute plutôt cohérent avec la manière de “gérer" son image sur les réseaux sociaux.
On retrouve cette logique en 2015 avec la profusion de modèles selfie-sticks et autres perches/pods pour caméras. Les endroits touristiques sont des lieux de choix pour observer les usages de ces périphériques, de ces accessoires qui permettent la prise d’image de soi comme les amigos de Santa Monica. Quelques heures passées sur l'esplanade du Trocadéro à Paris, et sur la rade du Léman à Genève permettent de saisir toute l’importance de ce genre de machinerie contemporaine.
L’usage du selfie-stick semble plutôt simple : le smartphone – et parfois une GoPro ou un appareil photo – est accroché sur le support, et la perche rétractable est déployée ou non à l’envie. Un ethnologue (qualifié ou non) observant d’un peu loin les possesseurs de stick aurait de quoi s’étonner devant des réactions qui semblent relever du réflexe pavlovien; mais ce serait aller un peu vite en besogne. Si généralement les utilisateurs ne l’allongent que pour la prise de vue, certains ne rechignent visiblement pas à déambuler avec l’objet téléscopique. Cela donne du coup toutes sortes de situations étranges. En particulier, recevoir un coup de téléphone – l’appareil servant encore à cela – alors que la perche est rétractée donne lieu à une gymnastique étrange. On voit alors la personne converser avec cette baguette de métal qu’il ne faut pas envoyer dans la tête du voisin. De la même manière, les situations d’évitement dans la rue – ces moments où deux personnes cherchant à s’éviter sur un trottoir vont inévitablement choisir le même côté et se rentrer dedans – se compliquent parfois avec ce nouvel accessoire, comme une joute moyenâgeuse. L’usage amphibie du selfie-stick, repéré sur les rives du Léman, semble aussi une de ces situations aussi contemporaines que singulières. La manipulation de l’instrument devant plus hasardeuse puisqu’associée aux mouvements de natation ou de flottaison.

Il est difficile de savoir quand, exactement, a commencé la marche triomphante des usages du selfie stick. 2013 ? 2014 ? Mais on peut supposer que depuis l'apparition de la photographie, les utilisateurs d'appareil ont trouvé des astuces de ce type. Cet article de la BBC évoque deux origines possibles pour ces perches.
La première correspond à un brevet "Telescopic extender for supporting compact camera”, déposé en 1983 par Hiroshi Ueda, à l’époque ingénieur chez Minolta. Lors d’un voyage en Europe, Ueda avait remarqué qu’il n’était pas toujours possible de faire confiance aux passants. Le vol de son appareil photo alors qu’il souhaitait être photographié devant le Louvre l’avait incité à chercher une solution technique… qui pris la forme d’un bâtonnet téléscopique, système combinant l’idée du tripod (un support) et du minuteur (remplacé pour le coup par un déclencheur manuel sous forme de bouton). Le brevet, arrivé à expiration depuis, ne l’a guère aidé puisque des tests chez Minolta ont révélé des difficultés d’acceptabilité chez des utilisatrices japonaises. Un échec commercial donc… qui a peut-être contribué à la circulation de cette idée dans un livre sur le 珍道具 (chindōgu), "l'art japonais d'inventer des gadgets « utiles mais inutilisables »" dixit Wikipedia – un terme proposé dans les années 1980 par un autre ingénieur japonais Kenji Kawakami.

Une seconde origine de la perche à selfie mentionnée par l’article sur le site de la BBC correspond au projet du Canadien Wayne Fromm basé sur la modification d’un autre objet ordinaire : le parapluie. Entre ces premièrs prototypes et la réussite commerciale actuelle (sans parler de la profusion de copies), Fromm a du patienter une dizaine d’années; son brevet "Apparatus for supporting a camera and method for using the apparatus " ayant été déposé en 2006.

Cette origine multiple de la perche à selfie, et le fait qu’elle ait parue si absurde qu’on la retrouve dans un livre d’inventions incongrues, montre aussi qu’il est toujours pertinent de jeter un oeil à des projets non-commerciaux. On pourrait aussi mentionner quelques productions d’artistes ou de designers pour montrer comment des objets techniques peuvent permettre des prises de vue de soi originales et curieuses. Je pense en particulier à Avatar Machine de Marc Owens, une interface portable (wearable) qui reproduit la vision à la troisième personne des jeux vidéo FPS ("a wearable system which replicates the aesthetic of third person gaming, allowing the user to view themselves as a virtual character in real space via a head mounted interface.”). Le "poteau" de mon collègue du Near Future Laboratory Julian Bleecker, "An Apparatus for Capturing Other Points of View" est aussi intéressant à cet égard. Il s’agit d’une perche de 11 mètres de hauteur sur lequel placer une caméra et enregistrer l’activité au sol, qui préfigure les drones actuels filmant depuis une altitude similaire. L’analogie avec ces appareils volants nous indique peut être l’évolution de la fonctionnalité prise en charge par les selfie-sticks… avec des mini-drones volants servant à capturer l’instant de façon plus autonome que la perche. C’est la piste proposée dans le catalogue TBD avec l’article "SelfieTM Vanity AV” (référence produit SEL.421.642, page 46) :
"SelfieTM brand vanity autonomous flying vehicles are the original follow-me AV, providing the best services and features of any. Provides immediate capture and routine upload of locations and still images with ease and complete privacy, or full public access if desired. Optional streaming features can provide real-time feeds of your excitements with your buddies."
C'est d'ailleurs ce que propose des petits quadcopters aux noms aussi innocents que Nixie, ou Lily.
3. Fragments
👀Onglets actuellement ouverts dans le navigateur : un article essentiel du New Yorker sur les vendeurs chinois de lingerie en Egypte (essentiel parce qu'il montre l'importance des échanges non-occidentaux de la mondialisation), cette description d'un village tao-bao (LE site web de vente en ligne en Chine), cette analyse de la notion de fracture numérique, une bonne perspective US sur le minitel français.
++
nicolas
((licence CC BY-SA 3.0 FR))