Ciao,

De retour après une semaine déconnectée.

1. Expressions idiomatiques
  • Spoti-stalker : terme désignant les "voyeurs" sur Spotify, qui jouent des morceaux exclusivement similaires à votre playlist.
  • Flower Brother : néologisme trouvé dans la  newsletter de Laurent Haug, composé de "flower power" et "big brother" pour désigner la complexe hybridation de sentiments positifs a priori vertueux et de surveillance liées aux fonctionnalités de plateformes telles que Google, Facebook ou Uber. Celles-ci rendant des services pertinents pour les usagers au prix du partage de données personnelles.
  • PK (comme dans 我想给她们PK一下 / "I want to PK them a little."): PK pour "Player Kill", verbe utilisé hors-MMORPG par en Chine pour désigner une confrontation, quelle qu'elle soit (Source: cet article de Christina Xu).
  • Tronstrument : mot composé par le twitterbot @boazimbot spécialisé dans la création de mots-valise ("portmanteau word"), avec "trotting" et "instruments". Pourrait désigner les robots trotteurs comme le Big Dog de Boston Dynamics.
2. Pagers, iPod Touch et feature phones 
Dans son ouvrage "Quoi de neuf ?" publié en 2006, l’historien anglais David Edgerton observait la persistance, la "résistance" ou la ré-introduction de "vieilles techniques". Il citait notamment la résurgence de la télévision par cable dans les années 1980s (après avoir été en vogue dans les années 1950s) ou l’acupuncture (à son paroxysme au XIXème puis de retour depuis trente ans).

Un autre exemple historique marquant dans son livre est celui l'importance du cheval durant la Seconde Guerre mondiale :
"L’armée allemande, si souvent décrite comme reposant sur des formations blindées, eut bien plus de chevaux durant la Seconde Guerre mondiale que n’en eut l’armée britannique durant la Grande Guerre. Le réarmement de l’Allemagne, dans les années 1930, passa par un achat massif de chevaux, au point qu’en 1939 cette armée en possédait 590 000, et en avait 3 millions d’autres en réserve dans l’ensemble du pays. […] Début 1945, la Wehrmacht disposait de 1.2 millions de chevaux ; on estime à 1.5 millions les pertes en chevaux accumulés durant la guerre."

Avec ces exemples, Edgerton nous rend attentif au fait que "le temps technologique ne va pas uniquement vers l’avant"; et qu’il n’y a donc pas un bel ordonnancement chronologique. En adoptant le point de vue des usages des objets techniques, on peut regarder différents “mondes technologiques” et s’apercevoir de la diversité des pratiques. C’est un sujet qui intéresse votre correspondant dans le cadre d’un projet d’enquête sur les téléphones mobiles. En cherchant dans mes notes de terrain je suis tombés sur quelques cas de ce genre (( dans l’app Notes sur mon téléphone, j’ai une Note nommée "Livefieldnotes" dans laquelle je consigne mes observations concernant les usages des téléphones mobiles. C’est écrit à la volée sur le terrain donc avec des fautes d’orthographes et un certain laconisme ))

Voici les notes en questions:
23.08.2015 - train Genève - Lausanne Un homme regarde son pager Motorola, une technologie que je pensais disparue... Mais qui semble encore exister à ce que je lis sur le site de sigmacom.ch et qui sert des "besoins professionnels" avec des èchanges de messages alphanumeriques. Il dit mystérieusement l'utiliser du fait de sa fiabilité : "ça marche partout meme dans les zones a faible reseau de telephone, le fabricant me dit que ca joue a 99% partout dans le pays"

11.08.2015 - Genève, square Chantepoulet Rencontre avec J. un chercheur suisse-allemand, qui sort ses deux telephones (un iPod Touch et un vieux Nokia), il n'a pas de data plan et dit aussi utiliser cette combinaison d’appareils "pour se proteger des distractions". Il me dit utilise le Nokia (un feature phone noir) pour les appels, et le iPod Touch pour l’accès aux apps. Et s’il a besoin d’être connecté au Web mobile pour browser ou certaines apps, il le fait dans les lieux où il y a du Wifi

8.08.2015 - Geneve, marché aux puces Discussion avec un vendeur de telephone mobile genre nokia 3210 d'occasion (30chf), se vend bien, pour les gens qui n'arrivent pas bien a utiliser les smartphone "c trop complique", par exemple me dit le vendeur dans son francais approx: "par exemple une dame qui vient et dit que son fils lui a offert un iphone et elle comprend rien... Elle m'achete ce nokia [3310] et elle sait faire, elle recoit l'appel elle appuie sur le bouton et c bon; donc j'en vends toujours un peu"

Ces exemples, pris parmi d’autres, sont intéressants à plusieurs niveaux. D’abord parce qu’il montre la persistance et la diversité des usages d’objets techniques généralement considérés comme moins à la page (sans jeu de mot aucun sur le premier). Ensuite car ils renvoient à un autre aspect discuté par Edgerton : celle de la prétendue “résistance aux techniques nouvelles”, problèmes parfois abordés par psychologues ou historiens. Or, comme il l’explique, “il est absurde de parler de résistance à la technique ou à l’innovation dans un monde dont les individus ou les sociétés n’acceptent pas nécessairement toute innovation – ou, en fait – tout produit qui leur est proposée. De toute façon, il y a résistance. En adoptant une technique, la société résiste nécessairement à de nombreuses techniques substitutives ‘anciennes’ et ’nouvelles’.” Les pagers très fiables, les features phones en sont de bons exemples. Et l’usage des iPod Touch, à la manière de J., était d’ailleurs précisément proposé dans un article récent de la revue Wired comme l’un des système de communication les plus sécurisé à l'heure actuelle. Même si ces usages ne sont pas majoritaires – tout dépend où ! – ils existent et nous rappellent que différents critères influent sur les choix d'utilisation.

Cette combinaison d'objets techniques est d'ailleurs ce qui pêche souvent dans les vidéos prospectifs des grandes sociétés technologiques. On ne voit que des appareils rutilants, les dernières interfaces, alors que la réalité des pratiques correspond davantage à une grande diversité. C'est certes moins glorieux (un téléphone non-tactile ferait-il tâche à côté d'Hololense ?) mais bien plus plausible. Mon collègue du Near Future Laboratory Nic Foster utilisait dans cet article de Core77 une métaphore géologique pour ce phénomène : celui de l'accrétion qui lui permettait d'en discuter les enjeux deson point de vue de designer :
"In order to communicate our vision, it may be helpful to incorporate the existing designed space in parallel with the new. On a very practical level, we should embrace legacy technologies when conceiving new ones. Ethnographic studies constantly highlight technology accretion: the drawer full of cables, the old interaction behaviors, the dusty hard drives, the mouse mats and inherited hardware. Rather than avoid this complexity, good science fiction embraces accretive spaces, where contemporary design and technology sits side by side with older artifacts. In some cases, this technique can be used to show potential disconnects between the new and established, places where technology sticks out like a sore thumb. This is a useful tool for all designers and using it well can help us depict a more tangible future."

Comme il l'exprime ici, cette prise en compte de la diversité des pratiques peut stimuler la rechercher de voies originales. Dans le cas des mobiles, c'est la raison pour laquelle on voit toujours des produits pertinents basés sur des pagers aujourd'hui (c'est d'ailleurs le cas par exemple avec de la géolocalisation indoor) ou des téléphones servant uniquement à téléphoner...  avec des propositions loin d'être inesthétiques, absurdes ou curieuses.

3. Fragments
💄En relisant des textes des années 1980, je me rends compte que l'équivalent à l'époque de "2.0", c'était "du troisième type", mais je ne me souviens pas si les gens qui voulaient paraitre encore plus à la pointe s'essayaient au "quatrième type"?

🚘🚲Cet article du Washington Post décrit une embûche de taille sur la route des voitures autonomes : les fixies. Malgré "l'intelligence" du véhicule, décrite en particulier dans ce brevet de Google, il semblerait difficile pour l'automobile en question de faire la part des choses : comment savoir si le cycliste (barbu ou non) avance ou recule lorsqu'il attend à une intersection ? Le léger mouvement avant/arrière du à la manière de gérer le pédalier semble être encore complexe à appréhender pour la machine qui en devient désespérément indécise. Un détail de plus que la Singularité devra intégrer.

👀Onglets actuellement ouverts dans le navigateur : un numéro spécial de la revue académique International Journal of Communication sur les selfies, un robot qui automatise les usages de Tinder, cette "fantasy console" qui a l'air fantastique, une  app pour prendre des photos simultanément avec les deux caméras du smartphone, cette sélection de robots africains des plus fascinants.

🍠Et on se quitte avec la rencontre du jour,  Lee Scratch Perry croisé à l'aéroport de Genève au stand fondue. Le roi du Dub ici pris dans Powerpoint (( c'est la condition de l'humain moderne au fond ? )) avec tout de même des stickers collés sur l'écran, une barbe rousse, une casquette munie de CDs et une veste bleue satinée. Avec le contenu des slides ("UNHUMERS PASS FREE HUMPERS FREEZED22222222222222222222222222"), on se dit que l'Upsetter jamaïcain est certainement en route pour partager des "ideas worth spreading" virales à souhait dans une conférence improbable.


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nicolas
((licence CC BY-SA 3.0 FR))