Hello,

(( rythme bimensuel ces temps du fait de surcharge ))

1. Expressions idiomatiques
  • Maskenfreiheit (vu  ici) : terme indiquant la liberté de se masquer le visage, et donc métaphoriquement de rester anonyme, ou de ne pas montrer son identité dans la sphère publique.
  • 1701 : terme américain parfois utilisé pour dire d'un objet ou d'une situation qu'elle est trop en avance sur son temps; il provient du nom de code du vaisseau The Enterprise (NCC-1701) de la série Star Trek.
  • Auto erect : une expression en anglais qui exprime le caractère sexuel d'un texte transformé par  la fonction d'auto-correction orthographique (particulièrement pour les SMS).
  • Brouteurs : idiome utilisé en Côte d'Ivoire pour désigner les escrocs agissant avec les technologies de l'information et de la communication. Dans un texte de N’Guessan Julien Atchoua tiré de l'ouvrage "Quand l’Afrique réinvente la téléphonie mobile", on trouve cette définition plus précise : "Nombre de ces cybercriminels bien connus dans leur milieu et celui des lieux de plaisir (boîtes de nuit, caves, buvettes, bars...) portent des surnoms révélateurs de leur célébrité comme « Picsou le milliardaire », « Yannick le pétrolier », « Ballon d’or », « Promis », « Gouverneur Bébéto », « Inspecteur Larouche », « Mascotti l’Italien », « Francky Pigeon », « Arnaud le Martiniquais »40, etc."
  • MTurk Research : terme anglo désignant les projets de recherche employant la force de travail des "turcs", travailleurs inscrits sur la plateforme d'Amazon Mechanical Turk (Vu dans cet  article sur les usages du crowdsourcing dans la recherche scientifique).

2. Des MTurks pour décrypter les glitchs

Un des chapitres – si l'on peut parler de chapitre – du  livre DADABOT est constitué d'une série d'images *corrompues* extraites du site  glitchnews.tumblr.com. Nous en avons sélectionné 8 qui ont ensuite été déposées sur un site de crowdsourcing à la Mechanical Turk (Amazon). Comme ce-dernier à l'utilisateur une adresse nord-américaine, nous avons pris  rapidworkers, une sorte d'alternative plutôt basique et efficace. A côté des images, nous avons donné comme consigne de décrire en 500/600 signes le contenu de l'image;  une sorte de reconstitution à la manière de ce qui a pu être fait auparavant (reconnaissance de molécules ou de cratères sur une planète). L'objectif était plus exploratoire qu'autre chose, une envie d'expérimenter un mélange de crowdsourcing avec une base de contenus *abîmés*... pour éventuellement tenter de reconstituer le cheminement d'un contenu avec à la fois des altérations causées par un problème technique et sa perception par ces limiers de l'internet que sont les utilisateurs de plateforme de crowdsourcing. Quelques remarques ci-dessous sur ce qu'en nous en avons appris.

Sur les contributeurs d'abord. Ces "(taskers" ou "rapidworkers" sur cette plateforme, terme moins connoté que celui de "turks" d'Amazon) étaient rémunérés pour cela, et vu la vitesse de réponse, on peut effectivement dire qu'il s'agit de "rapidworkers". Situés principalement au Pakistan (à l'exception d'un français), ils ont très vite renvoyé leurs textes. Disons en moins de dix minutes. Cette célérité m'a d'ailleurs interrogé sur le mode de fonctionnement de ces djobeurs, et en particulier sur la nécessité d'attendre ou non les propositions : est-ce un équivalent en ligne des gens du saint sentier qui attendent avec leur diable ? Qu'est-ce que l'attente sur une plateforme de ce type (sûrement un sujet pour un autre projet plus sérieux)? Est-ce que l'interface elle-même aide l'attente ou la sélection de tâches ?

Quant aux contenus, la majorité des contributeurs sont restés très factuels avec une interprétation plutôt proche des images originelles que nous n'avions pas fournies. Certains se sont cependant essayés à la spéculation, comme dans le cas de cet exemple plutôt fascinant (qui part d'une image de départ de marathon, dont la moitié a subi un datamoshing sévère) :
"It represents what we can call the « Sprint of the Life ». More preciseley, it is our eternal and everlasting attempt to reach nearly impossible goals, or goals that are impossible to reach in the time we would like to. By attempting to run to fast, we often delay ourselves and slow down. Often, we finish by completely stop and burn ourselves totally discouraged. We should rather starting a little more slower, but far more securely. Then, we wouldn’t burning ourselves, and finish literally booth mentally and, even sometimes, physically sick. Sportsmen and sportswomen that run marathon never rush at the beginning of the competition, but, on the contrary search to keep the same regular peace all the 40 kilometers that they know they had to run entirely. Contrary to what people generally think, life resemble far more to a marathon than to a 100 meters sprint. Sometimes, there are 100 meters sprint during the daily life, but it is only short moments." (Author TaskID-286966)

Cela donne une sorte de prose étrange constituée sur la base d'images au contenu quasi inaccessible mais qui n'est pas désagréable à lire. C'est de mon point de vue un exemple intéressant d'écriture a mi-chemin entre celle produite par des auteurs humaines, et celle fournies par des programmes comme Automated Insights.

3. Tsundoku actuel 📚📚📚
(= dernières acquisitions livresques qui s'accumulent en pile)
  • Invisible Users: Youth in the Internet Cafés of Urban Ghana, Jenna Burrell (une ethnographie des cafés internet au Ghana)
  • Marcher avec les dragons, Tim Ingold (parce que ses réflexions anthropologiques sont diablement intéressantes, mais si parfois difficiles à saisir).
  • Electric Dreamland: Amusement Parks, Movies, and American Modernity, Lauren Rabinotitz (une histoire de la fête foraine américaine)
  • La forme d'une ville, Julien Gracq (pour un passage à Nantes à venir, et donc comprendre la manière de lire la ville de cet auteur),
  • Sensing the Future: Moholy-Nagy, Media and the Arts, Olivier Botar (pour comprendre en quoi Moholy-Nagy était un précurseur éventuel des cultures numériques actuelles).
  • Ship breaker, Paolo Bacigalupi (pour voir une vision romancée de l'anthropocène, qui plus est en Louisiane, autre sujet d'intérêt).
  • Designing Culture: The Technological Imagination at Work, Anne Balsamo (car elle semble être citée fréquemment dans les travaux sur le design; en particulier pour sa manière de décrire le design comme "technocultural innovation").
  • Art and Agency: an anthropological theory, Alfred Gell (pour sa description de la théorie de l'agency dans le contexte de l'art).
  • Magie et technologie, Manuela de Barros (pour son analyse de la persistance de la pensée magique depuis la Renaissance à l'époque actuelle).
Par lequel commencer ?

4. Fragments

🗿Dans ce recoin curieux de l'art qui s'intéresse au numérique par le prisme du déchet à l'ère de l'Anthropocène, et à une sorte d'archéologie déglinguée, je suis fasciné par le projet "Refonte" de Quentin Destieu et Sylvain Huguet, une "série de pointes de lances et d’armes rudimentaires réalisées à partir de différents matériaux récupérés sur des déchets d’équipements électriques et électroniques." Cela fait également penser aux projets de Peter Moosgaard (que j'avais interviewé  l'an passé) et son travail de compilation dans  Supercargo.


👀Onglets ouverts dans le navigateur : ce  site d'un auteur qui montre en temps-réel son roman en train d'être rédigé et révisé (avec une fenêtre de discussion sur le côté), une proposition intelligente de signalétique pour les objets connectés, des  explications de la manière dont les scanners et imprimantes de Xerox modifient des chiffres dans les documents, un service de "data-dropping" proposé par fabric.ch, ce court texte sur les "rituels" ivoiriens pour "attacher" (envoûter, contrôler) les victimes d'escroquerie en ligne, et cette série de planches de bande-dessinée de Tyson Mike qui aborder la question suivante : "Et si 孫 悟空 (Son Goku) était musulman et habitait dans une cité de Montpellier ?" (via les amis de pop up urbain). Et le temps que je finisse cette livraison – procrastination oblige – s'est ajouté cette  analyse des erreurs commises par le "robot reporter" qui produit les analyses financières pour Forbes.

📟Rétro-innovation du jour. Le  Neo de la société Alphasmart est une sorte de machine à écrire constitué d'un clavier et d'un écran de la taille d'une calculatrice des années huitante. Il fait partie de ces objets qui ne font qu'une chose, en l'occurence permettre à son utilisateur de taper des lignes de texte. C'est un exemple fascinant d'objet technique que l'on pourrait croire inutile aujourd'hui, mais qui est toujours utilisé, un peu comme les pagers toujours vendus et employés. La dernière personne que j'ai vu utiliser cela étant le musicologue Christopher Kirkley qui s'en sert sur le terrain pour prendre des notes.

☎️ Enfin, un bel extrait mentionné par mon collègue Daniel S.:
"Degas avait un grand faible pour Forain. Forain disait : Mossieu D'gâs, comme Degas disait : Monsieur Ingres. Ils échangeaient leurs mots terribles. Quand Forain se construisit un hôtel, il fit poser le téléphone, alors encore assez peu répandu. Il voulut l'utiliser tout d'abord à étonner Degas. Il l'invite à dîner, prévient un compère qui, pendant le repas, appelle Forain à l'appareil. Quelques mots échangés, Forain revient... Degas lui dit : "C'est ça, le téléphone ?... On vous sonne, et vous y allez." »
Paul Valéry (1936), Degas Danse Dessin, Oeuvres II / Bibliothèque de la Pléiade, nrf Gallimard 1960, p.1217.

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nicolas
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