Ahoy!
...bye bye février 2016, avec les notes et
 💭du moment...
💬💬💬Expressions idiomatiques 💬💬💬
  • 卖肾买 iPhone : formule utilisé en Chine et qui signifie littéralement "Vendre un rein pour s'offrir un iPhone 6s" (merci Yvan!) 
  • Raffabilité : traduction du terme "bingeability" qui fait référence au degré d'avaler rapidement (en rafale, d'où le néologisme franco "raffabilité") une série, ou un contenu culturel donné (en référence au "binge-drinking" transposé de la boisson vers la consommation compulsive d'épisodes de séries télévisées).
  • Smombie : mot-valise formé des termes "smartphone" et "zombie", désignant une personne qui regarde fixement son smartphone à la manière d'une créature décérébrée (Source:  ce compte Twitter).
  • Algorave : forme de rave proposée par Alex McLean (Slub) et Nick Collins, et qui propose de faire danser les gens sur des boucles programmées en temps réel (live coding) par les musiciens devant face au public.
🌁🌁🌁Un mélange de low et de high-tech 🌁🌁🌁​

La lecture de cet entretien de WMMNA sur la notion de "machine wilderness" – cette hybridation de la technique et de la "nature" – cette semaine m'a fait repenser à une émission sur le caractère difficilement soutenable du développement technologique. A la minute 22:45 de la balado, le philosophe de la pensée écologique Dominique Bourg avance l'analyse suivante :

"...très probablement, notre capacité de remédier est très faible par rapport aux enjeux que l'on a déclenchés. Du coup, il y a un moment d'acmé de la puissance qui est la nôtre. Mais on peut très bien imaginer que l'on va devoir vivre sur un écoumène, la partie de la terre habitée par les hommes en voie de rétrécissement sur le long cours, plus hostile, beaucoup plus pauvre en ressources [...] avec une disponibilité énergétique qui va devenir moins grande. On a une humanité qui va pendant un certain temps quand même tanguer sur le bateau terre. Et une humanité qui ne pourra pas se résoudre à une position simple. Elle sera obligée de maintenir des instruments sophistiqués, parce que tout ce qu'on sait de la nature, on le sait au-delà de nos sens, on ne le sent que par les sciences. Pas de sciences sans techniques complexes, pas de sciences sans une certaine forme de progrès technique. Et en même temps, nous n'aurons pas les moyens de diffuser les techniques, ne serait-ce que parce qu'il n'y aura plus de métaux, il faudrait une infinité d'énergies pour pouvoir continuer à les chercher avec un coût environnemental terrible. Donc on risque d'avoir un paysage technologique très concentré, très curieux. [...] Totalement hétérogène, avec un mélange de low et de high-tech."

Ce qui me parait stimulant dans ces quelques phrases, c'est ce constat d'une cohabitation entre techniques de pointe et rudimentaire. Une hybridation du "low" et du "high" que la science-fiction explore ardemment; par exemple chez Paolo Bacigalupi – dans son Windup Girl – les carburants fossiles sont si rares que l'énergie est maintenant mécanique, stockée dans des piles à ressorts (!) qui alimentent les véhicules et les ordinateurs. Plus proche de nous, on retrouve ce phénomène sous la plume de l'écrivain texan Bruce Sterling avec le terme de "Favela chic"... qui correspond bien à ce mélange, à cette combinaison entre la favela, bidonville brésilien illégal et souvent insalubre, et un monde fait de smartphones à l'apparence rutilante, d'Internet, et de sources d'électricité improbables. Le Wifi mais sans l'eau courante si l'on caricature.

Si la plupart des observateurs de ces phénomènes décrivent les logiques de contournement, d'improvisation ou de bricolage à l'oeuvre dans ces territoires, il parait également intéressant de se demander sur quoi cela débouche pratiquement. Pas forcément pour comprendre la manière dont divers problèmes en ces lieux sont résolus, mais plutôt pour saisir ces productions du point de vue culturel. Dis autrement, sur le plan des cultures matérielles, qu'est-ce que cela donne le "mélange de low et de high-tech" mentionné par Dominique Bourg ? A quoi cela peut dont ressembler?

Une question subsidiaire à ce propos concerne les façons d'aborder ces questions ? Vers qui – ou plutôt vers quoi – se tourner pour s'en rendre compte? Comme bien souvent ici, c'est à la fois aux sciences humaines/sociales et aux arts qu'il parait pertinent de s'intéresser. En anthropologie, je lisais par exemple cette semaine cet article de Tatiana Benfougal sur les modifications récentes dans le tressage de vannerie dans le Sahara. L'auteur montre comment les populations locales "répondent" à la pression du monde moderne en incorporant "
des matières plastiques disponibles, du fait des processus de déconstruction des objets d’origine occidentale [en général des sacs] ainsi que de l’introduction dans le tressage des matières ainsi extraites."

(Photo par J. Ch. Domenech)


Dans le champ de l'art, ce mix low/high tech fait également penser à différents projets des cultures postidigital. L'un de ceux qu'il m'a le plus frappé est certainement le  Keepalive d'Aram Bartholl rencontré il y a quelques semaines de façon impromptu à UCLA. Aussi fascinant qu'ironique, il s'agit d'une espèce de concrétion rocheuse qui, lorsqu'elle est chauffée par un feu à son contact, alimente un routeur Wifi qui permet l'affichage d'un collection de pdf proposant des guides de survie.


Enfin, dans un registre plus utilitariste, ce moyen de charger les téléphones mobiles avec un générateur thermo-électrique placé dans un four en terre-cuite est clairement à propos.


Il y aurait bien d'autres projets à discuter ici pour illustrer ces hybridations, et une plongée dans des recherches en histoire serait aussi pertinente. Le propos de Bourg est intéressant, car il peut aussi être vu comme une donnée contextuelle pour plancher sur toutes sortes de projets en ingénierie ou en design... et se poser la question de l'évolution de la culture technique à l'ère (l'heure?) de l'Anthropocène, voir de renouveler les discussions actuelles concernant la notion de progrès. Ce qui fait d'ailleurs écho aux discussions de cette semaine avec James Auger qui propose des  recommandations sur la manière d'aborder ce dernier point.

Est-ce que ce genre de choses est nécessaire pour survivre à l'Anthropocène? Pour garder le monde "habitable et résilient" (une obligation qui nous est rappelée dans la conclusion du livre "L'évènement Anthropocène" de Bonneuil et Fressoz) ? Non. Pas forcément. Il y a certainement d'autres priorités et d'autres urgences. Mais ces projets nous donnent matière à réfléchir, à considérer ces production nouvelles qui sont tantôt des adaptations humaines (la vannerie avec du plastique, les plastiglomérats à venir dans les galeries d'art), tantôt des provocations (le projet de Bartholl), ou ce que l'on peut voir soir comme des formes de résilience locales, soit comme des tentatives pour reculer la fin de certains usages (le chargeur de mobile).

🌱🌱🌱Fragments 🌱🌱🌱

👀Onglets ouverts dans le navigateur : une fascinante chronologie des créatures cybernétiques apparues au cours de l'histoire, un article sur les bots qui rédigent des autobiographies, ce  papier sur les communautés de réparateurs de smartphones, ce billet sur Weird Facebook avec des exemples au gros potentiel mémétique, et l'article de Jonathan Sterne "The mp3 as a cultural artifact".

🔬Data & Society propose cette semaine une série d'articles sur les bots. Si le "How to Think About Bots" a été relayé ici et là, les autres sont un peu passés inaperçus, alors qu'ils sont tout aussi intéressants. En particulier, celui d'Alexis Lloyd du New York Times Lab, et qui déroule une analyse pertinente de comment aborder cette présence logicielle. A noter aussi la circulation de la métaphore biologique avec le terme de "bot-aniste" qui point son nez.

📙Retour au vocabulaire du détournement après la pause dans la livraison précédente. Regardons ici un terme plus cryptique mais tout aussi pertinent: le rikimbili décrit par le cubain Ernesto Oroza:

“J'ai lu récemment que le mot rikimbili viendrait du nom que portait l'atelier d'un couple nord-américain Rick and Billy. (...) Le mot rikimbili est une onomatopée pour désigner à Cuba un nouveau type de transport personnel. Ce véhicule hybride - bicyclette équipée d'un petit moteur - sert quotidiennement à des centaines de Cubains pour résoudre les urgences de transport. Sa rusticité et la menace permanente de dislocation lui donnent son nom si populaire. Enfreignant les règlements qui prohibent son usage, la prolifération du rikimbili dans l'ile a donné naissance à une grande variété de typologies et à de nombreuses combinaisons mécaniques. (...) Les rikimbilis montrent la créativité des Cubains. Leur présence, visible dans toute la ville – parfois on n’entend que leur bruit particulier – est une métaphore tangible de la désobéissance technologique. Ils montrent un idéal de transgression nécessaire dans les limites conventionnelles de production et de consommation, comme dans ceux de la précarité et du désespoir." Ernesto Oroza (2009), p.60

Oroza, E. Rikimbili une étude sur la désobéissance technologique et quelques formes de réinvention, Saint-Étienne: Publications de l'Université de Saint-Étienne / Cité du design, Saint-Étienne, 2009.

🏃Quelques sujets hypothétiques pour les prochaines livraisons :

  • tous les billets du blog " crap futures",
  • un mot sur la pile de livres d'histoires lus ou parcourus récemment,
  • le livre "Sous la colline" de David Calvo
  • une critique de la notion de "smartness", d'automatisation et d'optimisation, en lien avec une présentation à la conférence ixda interaction à Helsinki où je me rends mercredi
  • la thèse de doctorat jamais terminée de David Duchovny et intitulée "Magic and Technology in Contemporary Poetry and Prose."
  • le  Mirage Festival à Lyon où je passe la semaine prochaine.

Demain c'est le 29, jour intercalaire!

– nicolas
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