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((et bienvenue aux nouveaux abonnés))
💬💬💬 Expressions idiomatiques 💬💬💬
  • DIFM: acronyme de "Do It For Me" et qui désigne la frénésie d'applications ou de services censés automatiser la délégation de tâches considérées comme rébarbatives par l'usager. (Source:  Techcrunch).
  • Wiki gnome : terme décrivant les utilisateurs de Wiki dont l'humilité les amènent à ne pas claironner à tout va la quantité de contributions qu'ils réalisent sur la Wikipedia (Source:  Wikipedia).
  • Internet-rowdy : synonyme allemand pour désigner les hooligans du web (Source:  Der Spiegel).
♨️♨️♨️ Automatisation des thermostats ♨️♨️♨️

Si les bracelets connectés se retrouvent souvent remisés dans les tiroirs, d’autres appareils de l’"internet des objets” semblent avoir une présence plus durable. C’est par exemple le cas du thermostat Nest, qui propose, entre autres fonctions, une fonction dite “intelligente”. Celle-ci repose sur différentes modalités de programmation : le paramétrage manuel par l’usager sur le dispositif ou à distance par smartphone, un paramétrage automatique après que le système ai "apprit" les rythmes de modification de température à partir des changements réalisés par l’usager, sans oublier la fonction “auto-away” qui modifie la température deux heures après avoir perçu une absence de mouvement dans le domicile. Cette “smartness” correspond visiblement à un promesse d’ajustement automatique de la température du domicile: le boitier détecte différentes habitudes, repère des motifs et modifie le confort thermique en fonction de ces données.

Comme Nest est vendu, et utilisé, depuis un certain temps, on commence à voir toute une littérature en sociologie et en informatique sur les usages de ces systèmes. Pour préparer une présentation en mars dernier à la conférence ixda interaction, je m’étais par exemple appuyé sur "Living with an Intelligent Thermostat: Advanced Control for Heating and Cooling Systems” de Yang et Newman. Un article un peu aride certes, mais qui indique toutes sortes de leçons intéressantes sur plusieurs enjeux des thermostats dits intelligents.

À partir d’une étude de terrain d’environ un mois, les auteurs décrivent la difficulté rencontrée par les usagers à comprendre le fonctionnement de Nest, et donc à saisir ses effets. Plus précisément, il semble que le décalage entre leurs attentes (d’un système apprenant de leur comportement) et la réalité vécue fut la source principale de récriminations :
“I didn't believe in the learning process and it really does learn stuff,” (P1)
“I'm not clear at all whether that learning system is doing very much.” (p6)
“The scheduling just seems to really just take the temperature that I was putting in, and then, just repeat it everyday of the week. I was never impressed with the scheduling. [...] It doesn't look smart. [...] Like one day, I decided I was cold and I wanted to increase the temperature, and then, it would change everyday to home be like that.” (P7)
“The Nest has got the Auto-Away thing. I'm not quite sure what the range of that is.” (P3 had dogs and cats in his house and he thought Auto-Away worked about 25% of the time when people were gone because the Nest sensed the pets.)

Comme on le voit dans ces différents extraits, les usagers ont du mal à saisir comment Nest apprend de leurs comportements, comment l’appareil perçoit leurs actions, et s’interrogent sur ce qui relève ou non d’un dysfonctionnement (les limites des capteurs comme dans le cas où les animaux déclenchent la fonction Auto-Away). Que retenir de tout cela ? Je trouve ce cas intéressant en ce qu’il montre la difficulté à faire comprendre l’automatisation d’une fonction domestique somme toute basique (le chauffage), et à la “traduire” pratiquement dans un tel objet technique.
 
📱📱📱 Des films ruinés par le mobile 📱📱📱

Période cannoise oblige, parlons de cinéma. Mais au lieu de se demander comment le numérique, ses interfaces et ses tuyaux pourraient révolutionner le septième art, regardons la place du téléphone mobile dans les films. À ce sujet, le philosophe italien Maurizio Ferraris observait, il y a une dizaine d’années, que “l’absence de [téléphone] mobile rendait possibles des situations de suspense extrême, parce qu’un personnage ne pouvait prévenir l’autre de quelque fait décisif.” Dans son ouvrage au titre sec de “T’es où?”, dans lequel il s’interroge sur le portable, il décortiquait ainsi comment des objets techniques auraient pu ruiner des scènes cinématographiques.

Pour Ferraris, Indiana Jones – Les aventuriers de l’Arche perdue plus précisément – nous offre un cas d’école, avec la scène de combat entre Indy et un costaud armé d’un cimeterre. Lequel, après une impressionnante démonstration de force se fait tout simplement abattre à coup de pistolet. Ferraris se sert de ce cas pour indiquer en quoi un objet technique peut venir modifier un récit, et faire paraitre des situations nouvelles totalement absurdes. Il se demande ensuite comment un objet technique contemporain, tel que le téléphone mobile, pourrait infléchir toutes sortes de scènes. Il cite en particulier la façon dont un échange téléphonique aurait pu infléchir la scène finale de Docteur Jivago… dans lequel (feu) Omar Sharif aurait pu finalement rejoindre sa Lara.

C'est d'ailleurs un raisonnement assez courant aujourd’hui. L’écrivain Sud-Africain John Coetzee, dans un échange épistolaire avec Paul Auster, s’interrogeait ainsi plus largement sur la place du mobile dans la narration :

“The presence/absence of mobile phones in one’s fictional worlds is going to be, I suspect, no trivial matter. Because so much of the mechanics of novel writing, past and present, is taken up with making information available to characters or keeping it from them, with getting people together in the same room or holding them apart. If, all of a sudden, everyone has access to more or less everyone else – electronic access, that is – what becomes of all that plotting?”


Ce questionnement, aussi léger soit-il, ne se cantonne pas aux réflexions d'écrivains, puisque j'ai pu entendre des considérations similaires dans une étude en cours sur les usages du smartphone. Dans une version plus pragmatique, il s’agit par exemple de proposer une relecture du cinéma en se demandant comment des films et des scènes mythiques aurait bénéficié ou aurait été “ruiné” par les usages du téléphone mobile dans ses différentes incarnations. Dans quelle mesure Forest Gump aurait bénéficié d’un mobile ? Qu’aurait fait Tony Montana avec un smartphone ? Et Chaoz? Comment un iPhone aurait-il pu changer le déroulement de Retour vers le Futur ?

À tel point que j'ai même vu certains chercher à donner un nom à cette pratique (une uchronie cellulaire? une mobuchronie ?). S’il s’agit d’un sujet de conversation jouissif et amusant, d’une belle matière à conversation pour l’apéro, c’est aussi une forme légère de réflexivité par rapport à nos pratiques; une perspective curieuse pour saisir la place occupée par un tel objet technique au quotidien. Il faudrait se pencher sur ces diverses questions, proposer une relecture du cinéma en se demandant comment des films et des scènes mythiques aurait bénéficié ou aurait été “ruiné” (d’où le titre) par les usages du téléphone mobile dans ses différentes incarnations. Cela dresserait une sociologie fascinante de cet objet technique.
 
🌱🌱🌱 Fragments 🌱🌱🌱

👀 Onglets ouverts dans le navigateur : un  projet de glossaire pour décrire le jargon employé dans les discours sur les smart cities, l' interview d'une designer qui créé des choses intrigantes pour questionner l'internet des objets, une  vidéo de David Desrimais sur comment créer sa maison d'édition à l'heure du numérique (merci François Bon de l'avoir mise en boite, c'est le cas de le dire), cet  article sur les conséquences du remplacement des visites en prison par des appels de mauvaise qualité sur Skype, et un  texte de n+1 sur les voitures autonomes.

📙La citation sur le sujet du détournement, pour continuer sur ma série des livraisons antérieures, provient d'un texte de Bruno Latour:
"Il y aura pliage technique à chaque fois que l’on pourra mettre en évidence cette transcendance de deuxième niveau qui vient interrompre, courber, détourner, détourer les autres modes d’existence en introduisant ainsi, par une astuce, un différentiel de matériau, de résistance, quel que soit par ailleurs le type de matériau."
Bruno LATOUR, Prendre le pli des techniques, numéro spécial de la revue Réseaux, No 163, Vol. 28, 2010.

🎤 Dans le cadre de la XXIème Exposition Internationale de la Triennale di Milano (intitulée "21st Century. Design After Design"), il y a eu toute une  série d'entretiens passionnants avec différentes personnes qui croisent design et prospective. J'ai eu l'occasion  d'être interviewé, une occasion de décrire la place des sciences humaines et sociales à ce sujet.

☎️ En 1904, un article du New York Times s'interrogeait sur une des conséquences possible du téléphone : "we are told that the telephone is giving us a race of left-eared people – that is, of people who hear better with the left than with the right ear"

🐏 Visiblement on peut acheter des moutons via Instagram.

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– nicolas
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