Hej,

💬💬💬 Expressions idiomatiques 💬💬💬

  • Quantpreneurs: mot-valise employé pour décrire les entrepreneurs du Big Data.
  • Page parking : tactique d'utilisation des onglets dans le navigateur web qui consiste à "opening multiple pages in rapid-fire succession as a way to save the items on those pages and revisit them at a later stage." (Nielsen Norman Group), par opposition au "parallel browsing".
  • Udetokei gata keitaitannmatsu : terme japonais employé pour faire référence aux smartwatches, et qui pourrait se traduire littéralement par "des montres qui ressemblent à des montres mais qui sont en fait des terminaux mobiles accrochés au poignet" (cf. cet article le temps)
  • Femme retrogaming : un pan discret du retrogaming qui s'intéresse aux jeux "pour filles" (avec toute les caricatures que cela peut représenter) des années ’80-’90  (cf.  ici)
🚪🚪🚪 NumérIKEA 🚪🚪🚪

J.G. Ballard disait qu'un vieil annuaire de Los Angeles était pour lui un des outils essentiels pour son travail d'écriture. Il devait y piocher des noms, des lieux, des ambiances. Est-ce qu'aujourd'hui ce ne serait pas le catalogue IKEA ? L'écrivain anglais en parlait plus rarement, mais cela faisait visiblement partie de ses lectures, au même titre que des revues médicales, des rapports psychiatriques ou le bottin sud-californien. Je met ce sujet sur le tapis à la fois parce que le "nouveau numéro" (c'est comme un magazine annuel non) est sorti récemment, et que j'y ai repensé la semaine passée à la lecture de ce passage du chouette roman de Céline Zufferey "Sauver les meubles" :
"Il n'y a pas d'ordinateur, c'est une décision qui vient du siège : la présence d'"electronic devices" dans les pages du catalogue, question délicate et combien essentielle car directement liée à l'image du magasin. Etions-nous pour ou contre la technologie ? Pour l'accès à la sphère illimitée de l'information, contre la dépendance aux jeux en ligne, pour l'ouverture sur le monde, contre les pédophiles sur les forums de mineurs. Décision difficile, aussi épineuse que de savoir le modèle de chaise basique allait ou non être édité en vert. Comme souvent, leur choix s'est porté vers le compromis : il n'y aurait qu'un appareil électronique par scène et aucun dans les chambres d'enfant." (Zufferey, 2017, p. 46)

Si l'on sait depuis un bon moment qu'une grande partie des éléments visuels des catalogues IKEA sont générés automatiquement par des programmes informatiques (CGI), force est de constater que la place des technologies numériques dans les intérieurs proposés est plutôt limitée. Dans la version Suisse que je viens de consulter, on trouve 14 pages sur 326 avec une présence discrète d'un appareil. Il s'agit surtout de smartphones, des ordinateurs portables, et une console de jeu vidéo. On peut également remarquer que ces objets techniques sont peu montrés en situation d'usage; seule la console l'est, les smartphones étant en général posés discrètement sur l'un des meubles. Et au fond, il y a très peu d'objets conçus pour fonctionner avec ces technologies. Hormis un plan incliné pour placer une tablette, le mobilier proposé ne semble guère pensé en fonction des pratiques numériques, ou alors cela n'apparait pas dans le catalogue. Peut-on mettre un bouton Dash (Amazon) sur une cuisine KNOXHULT ? Un boitier Home (Google) sur une table-basse de la série VITTSJÖ ? Certes on peut toujours essayer, mais est-ce que cela s'accorde avec le mobilier (question totalement futile) ? Une balance Withings/Nokia peut-elle être placée sous un dressing ELVARLI ? Et tant qu'on y est pourquoi ne trouve-t-on pas un Minitel ou un Nabaztag dans un des placards du système PLATSA ? Et comment se fait-il qu'il n'y a pas des boites SAMLA remplies de vieux téléphones portables et de cartouches de jeu vidéo ? Pour le coup, j'ai la réponse dans ce derniers cas : les intérieurs IKEA ne sont jamais remplis d'objets datant de plus d'une dizaine d'années.

Ceci étant, je ne suis absolument pas à trouver que cela manque, ou qu'il faille inonder le marché de gadgets technologiques en tout genre, je me pose juste la question des raisons de tels choix; en particulier en lien avec la clientèle du géant suédois. Car, pour avoir passé du temps cet été dans les couloirs de ces blocs bleus, les smartphones et ordinateurs sont légions. A telle point que la cafétéria du magasin de Genève, avec toutes ses tables hautes à prises, ressemble plus à un gigantesque co-working space qu'à un restaurant de centre commercial. Mais la présence des technologies dans le magasin ne reflète peut être rien de plus qu'une face que IKEA ne souhaite pas forcément ramener dans l'imaginaire de ses produits au sein du catalogue.

Il n'y a d'ailleurs aucun objet numérique dans les pages concernant le mobilier pour les enfants, cela pourrait être un signe. Du coup, suit-on la même logique que celle décrite par Céline Z. plus haut ? Ou s'agit-il d'autres motivations ? Cela m'interroge également car il y a deux ans, avec mes collègues du Near Future Laboratory, et des chercheurs suédois du laboratoire de l'Université de Kista, nous avions travaillé avec des designers d'Ikea sur un catalogue qui traiterait justement d'objets connectés, et d'autres formes de présence des technologies. Cela avait donné cette version, qui n'est nullement une prédiction, mais plutôt un ensemble de scénarios potentiels (design fiction) servant justement à discuter des implications du numériques pour leur design de produits.


🌱🌱🌱 Fragments 🌱🌱🌱


👀 Onglets ouverts dans le navigateur : un article sur les méthodes d'intimidation basées sur les bots Twitter, cet article du New Yorker à propos des assistants numériques, un texte fascinant sur "l'autre interface de l'iPhone" (celle qui devait être héritée de l'iPod), le résumé de ce livre sur la cuisine de l'Anthropocène, une  analyse ma foi pertinente des changements d'adresse en Côte d'Ivoire, et une liste de sorts pour D&D générée par un réseau de neurone artificiel.


📯 L'équipe de Millénaire 3 (Lyon) avec qui je travaille a récemment mis en ligne une note prospective que j'ai rédigé sur "les nouvelles frontières et nouvelles figures du numérique", avec notamment deux entretiens : l'un avec Clément Renaud sur le thème des technologies en Chine, l'autre avec Boris Beaude à propos de son ouvrage "Les fins d'Internet".


🎤 Citation trouvée il y a quelques jours (j'aurais presque envie de faire une rubrique "citation de Marcel Mauss", avec un extrait par semaine mais cela serait limitant) : 

"L'homme s'identifie aux choses et identifie les choses à lui-même, en ayant à la fois le sens et des différences, et des ressemblances qu'il établit" Marcel Mauss, Oeuvres, 2, Paris, Les éditions de Minuit, 1974, p.130.


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– nicolas

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