Outsigns

le quotidien venu d'ailleurs

A propos

Détournements d’objets, problèmes d’ergonomie, accidents du quotidien, configurations curieuses, outsigns propose un décryptage de la culture matérielle. Des billets rédigés par Gilles Baudet et Nicolas Nova.

Menu laconique

QR menu

 

Tombé nez à nez avec ce menu au détour d'une rue ce matin à Genève, c'est quasi automatiquement que ma main a cherché le mobile au fond de ma poche pour prendre une photo de cet assemblage aussi laconique que fascinant.

Celui-ci ne me proposait qu'un QR code, qui malgré sa taille relativement lisible par un smartphone et son aspect centré, m'a semblé plutôt minimaliste. En effet, rares sont les documents ou affiches ne proposant que ce marqueur visuel comme moyen d'appâter le chalan. En général, ce type de technologie n'est utilisée que dans une logique d'option. "Pour aller plus loin", "pour en savoir plus" pourrait-on dire; puisqu'en scannant le code, on se retrouve sur une page web apportant des informations complémentaires. Or ici, il n'en est rien. Le QR code fait office de menu, laissant de côté les passants non-munis de smartphone et tout ceux qui ne connaissent pas cette fonctionnalité.

Est-ce que les tenanciers ont souhaité être aux avant-postes de la modernité ? Qui les a dirigé vers ce choix ? Un coup d'oeil rapide à l'intérieur montre pourtant un restaurant plus ancré dans les années 1970 que dans l'exubérance transhumaniste. S'agirait-il d'un appât à hipster (répéter ces trois mots le plus vite possible cinq fois) ? D'une expérimentation le temps des vacances ? D'un test A/B grandeur nature, un jour A, un jour B ?

 

Pour situer votre voiture...

Image Vu à l'aéroport de Genève, parking souterrain P1. Un petit système pratique et analogique pour vous aider à retrouver votre véhicule dans l'immense parking souterrain de l'aéroport. Qu'est-ce que cet objet-mémoire nous raconte ? Premièrement, c'est une délicate attention de la part de la société de gestion du parking/de l'aéroport. Quand, à plusieurs mètres sous terre, tous les smartphones et leurs applications "Find my car" sont incapables de vous géolocaliser pour marquer l'emplacement de votre véhicule, cet astucieux système prends le relais haut la main. A mon sens cet objet s'inscrit parfaitement dans un écosystème de services offerts dans un aéroport. Il vous suffit de détacher un ticket, d'y inscrire/cocher/poinçonner le secteur où vous êtes stationné et "voilà", un peu de votre véhicule est resté avec vous grâce au petit ticket bleu que vous avez pris soin de détacher. Dans un aéroport, et plus spécialement dans ce parking P1, la durée de stationnement est illimitée. Cet objet est donc d'autant plus utile dans le cas d'un voyageur revenant plusieurs semaines plus tard, et qui n'a alors plus aucune idée d'où est stationné son véhicule... Comme la photo ne le montre pas, les risques d'erreur sont limités car les différents étages ont leurs code couleur propre (ici, le -2 est bleu), ce qui est reflété sur les tickets. En outre, tous les secteurs d'un étage ne sont pas représentés sur le ticket (ici, seules les secteurs 21 à 28 sont visibles) : cela permet ainsi de limiter la zone de recherche si vous n'aviez pas noté dans quel secteur vous étiez stationné. De mémoire, il doit y avoir environ 10 places par secteur, soit 80 places potentielles. Ce sont les points d'accès aux ascenseurs (là où sont offert ces tickets détachables) qui définissent les épicentres de chaque secteur d'un étage. Là encore, la logique est excellente : vous passerez forcément par un de ces lieux pour quitter le parking, même si vous prenez les escaliers (car disposés à côté des ascenseurs). Les inconvénients de ce système :
  • localisé à proximité des ascenseurs, donc après que vous vous soyez creusé la tête pour garder une mémoire de l'emplacement : risque d'arriver trop tard dans un workflow "voiture / parking / ascenseur"
  • besoin d'un stylo, mais vu la forme des trous, on peut poinçonner l'emplacement
  • réapprovisionnement des tickets, je pense que la consommation doit être inégale d'un secteur à l'autre : le turn-over de places est plus grand là où les accès à l'aéroport sont les plus rapide, par exemple devant l'ascenseur qui vous dépose presque devant les départs (les "experts") !
Pour aller plus loin : comment améliorer / repenser ce système ?
  • le design, très "artisanal", pourrait être amélioré : pas de boulons apparents, mise en valeur plus grande des tickets (qui sont un peu masqués par le capot supérieur en inox)
  • Permettre de noter précisément sa place
  • Valoriser le verso : plan du parking / de l'aéroport (graphique ou textuel : 0-Départs / 1-Arrivées...)
  • Optimiser la "chaine papier" des parkings : comment pourrait-on mettre sur un même support tout ce qui concerne la logistique parking : emplacement, ticket collecté à l'entrée et servant au paiement puis ré-utilisé pour la sortie
  • Replacer cet objet (ou un équivalent numérique ou digital) un peu plus en amont du workflow : idéalement il devrait être proposé quand vous avez fermé votre véhicule et commencez à chercher les accès vers l'aéroport
  • un mode novice / expert ?
Et vous, quelles sont vos stratégies ??? Personnellement je prends une photo de mon véhicule avec mon téléphone en prenant soin d'intégrer les références de l'emplacement). Cette pratique a également une valeur ajoutée : pour des stationnements de courte durée (pas plus de quelques heures), je cadre aussi les véhicules stationnés à côté du mien. Ainsi, si une personne maladroite et malveillante heurte mon véhicule en sortant de sa place, j'ai des éléments à fournir à mon assurance...

C'est la rentrée chez Bubble Team

Image Vu à Lausanne (CH), Flon Un panneau d'apparence anodin, qui éclaire votre trajet dans l'univers urbain... Mais pourquoi donc ? Comme diraient certains confrères...décryptage ! 1/ Le Marketing Digital Eh oui, afin de mieux analyser cette scène du quotidien, j'ai besoin de faire appel au Marketing Digital. Un site web de e-commerce a besoin, comme tout espace marchand, d'assurer un certain chiffre d'affaire. Pour ce faire, il dispose de plusieurs outils dont voici quelques-uns :
  • une accroche, généralement présente sur le header, éventuellement répétée en titre de page et en home : c'est le slogan du magasin, le parti-pris du vendeur. Cette accroche peut-aussi être une bannière de publicité présente sur un autre site ou encore un mailing envoyé à des clients potentiels. Le but de cette accroche est de vous inciter à aller sur le site et de vous convaincre qu'il y a là quelque chose pour vous
  • une bannière, qui met en avant un ou plusieurs articles (promotion, nouveautés, etc)
  • un inventaire, qui présente les différents types de produits mis en vente. Généralement, cet inventaire est placé en début de navigation pour mieux orienter le potentiel consommateur, ou on peut le trouver tout au long de la navigation dans les produits sous la forme de filtres ou de titres (catégories de produit)
  • des outils de mesure, généralement inconnus du grand public, qui existent sous la forme de "cookies" ou de "metrics", qui permettent, en fonction des données de fréquentation recueillies, de savoir quelles sont les périodes d'affluence, les produits préférées, le taux d'habitués vs. visiteurs uniques, le temps moyen passé sur le site, le taux de transformation entre usager entrants et clients ayant acheté sur le site, etc.
2/ Décryptage ! Mais pourquoi avoir fait ce détour ? Tout simplement parce que cette scène est une illustration parfaite de la transposition digitale au réél. L'accroche Tout d'abord, l'affiche est positionnée de manière orientée par rapport au flux de la rue : cela suppose que c'est une rue dont un sens de circulation est prédominant (à Lausanne, beaucoup de rues sont en forte pente). On peut aussi remarquer qu'elle n'est pas positionnée sous l'arche, où elle serait à l'ombre, mais légèrement à l'extérieur du bâtiment, sur la terrasse, où le contraste est meilleur Sur le panneau lui-même, le début du message capte votre attention en se référant à votre contexte : "C'est la rentrée". "Ben oui", direz-vous, "c'est évident, tout le monde en parle et je le vis tous les jours". Sauf que l'astuce n'est pas vous dire des évidences, mais bien de vous capter : vous avez réagi au mot "Rentrée" qui vous est familier. Ensuite, la touche de douceur "Mais le soleil continue de briller...", acquiescant par là de façon tacite que "oui, la rentrée est chiante, c'était bien les vacances", mais on vous promet de prolonger le plaisir de vos instants de vacances perdues en vous promettant du soleil qui brille ! Enfin vient la condition "au Bubble Café" : cette promesse de revivre vos vacances ne se réalisera que si vous entrez dans le Bubble Café... On a donc ici une excellente accroche, qui :
  • est très bien positionnée : entre la rue et le café, marquant ainsi la frontière de "quelque chose"
  • vous offre vos rêves...à une condition : une promesse concernant vos souvenirs proches si vous entrez.
Évidemment, il se peut que vous n'ayez pas eu de vacances, ou ayez passé des vacances nulles, mais le message s'adresse ici à une majorité supposée de personnes. Pour les autres, il faudrait d'autres accroches (marchés de niches) et un café placé dans une zone plus à même de concentrer son public. La bannière On la retrouve sous la forme de la phrase "venez découvrir nos nouvelles recettes..." : si vous avez lu jusque là, vous serez sûrement tenté(e) par une nouvelle expérience... En plus cette expérience présente un risque limité, vu que :
  • c'est le staff d'un café (la Bubble Team) qui s'adresse à vous, ils ont l'air sympa (ils dessinent des soleils et des petits smileys avec des couleurs chatoyantes)
  • ce café est positionné en bordure de l'espace public et est pourvu de larges ouvertures : on y voit même une employée en arrière-plan : vous pouvez vous rassurer par ce que vous voyez et admirer la promesse des produits qui vous attendent en vitrine
L'inventaire Il est dévoilé en bas de panneau, et inscrit en différentes couleurs, ce qui :
  • le fait contraster avec le reste du texte en blanc
  • vous permet de différencier les différentes catégories de produits
Quand on regarde quels éléments de texte sont colorés, on pourrait même risquer une interprétation supplémentaire : "Rentrée ? Sandwich, gâteaux, muffins, cake", ce qui pourrait signifier : "La déprime de la rentrée ? Venez vous réconforter avec nos bons gâteaux etc." Enfin, les différent produits différenciés par couleur vous permettent de construire une représentation mentale de ce que vous trouverez à l'intérieur (modèle basé sur vos précédentes expériences : vécu, publicité, magazines, etc) et d'anticiper l'offre de produits. Les outils de mesure Dans le monde "tangible", ils sont plus discrets et plus à disposition du staff de la boutique : argent en caisse, nombre de tickets de carte de crédit, produits disponibles en vitrine, etc. Pour vous, consommateur potentiel, l'analyse va consister à observer les clients déjà présents pour :
  • constater si vous avez une "affinité commune" : appartenance à un groupe socio-culturel proche
  • voir ce qu'ils consomment : à boire / à manger / chaud / froids / quelle redondance de produit / etc
  • voir si la promesse du panneau est réalisée : prévenance du personnel, attitude des clients présents, couleurs vives et gaies, sourires, etc.
3/ Conclusion Je trouve ce panneau particulièrement performant en terme d'accroche, de promesse, de présentation de l'offre de produits et la prévenance du message. J'ai été frappé, quand je l'ai vu, par la similitude que j'y ai retrouvé avec les outils de e-commerce. Tout ces éléments, vous les avez analysés, perçus, classifiés durant la seconde que vous avez accordée à la lecture de ce panneau et de son contexte... Pas mal, non ?

Avons-nous été à la hauteur de vos besoins ?

[caption id="attachment_18" align="aligncenter" width="640"]Questionnaire de satisfaction concernant la propreté des toilettes Dispositif d'indication de satisfaction concernant la propreté des toilettes[/caption] Cette photo, prise dans les toilettes de l'aéroport de Genève, cumule les mentions d'intérêt : Tout d'abord, elle est un très bon reflet de l'air du temps : donnez-nous votre avis / opinion, etc. Il serait intéressant de voir l'historique des avis (anonymisés) précédemment envoyés et des informations de contexte liés. Ainsi un commentaire posté à 9h du matin durant les flux domicile-travail n'aura peut-être pas les mêmes biais qu'un autre posté dans la nuit d'un week-end de célébration étudiante... Le premier point majeur d'intérêt est le positionnement du dispositif de feedback : sur le sèche-mains électrique. Cela traduit plusieurs choses :
  • le dispositif est placé en hauteur, presque à hauteur de regard et peut donc être difficilement raté de la majorité du public (hors personnes en fauteuil roulant) : on peut difficilement mieux faire en matière de disposition spatiale
  • il est placé à la fin de (presque) tous les processus possibles qui nécessitent de se déplacer aux toilettes : petit ou gros besoin, lavage de mains, rafraichissement, etc. Sa disposition dans le passage permettant d'accéder aux toilettes fait que s'il n'est pas forcément remarqué de prime abord (i.e. envie très pressante), il pourra encore l'être au moment du séchage de mains. Sa disposition sur un appareil qui s'utilise dans les dernières tâches à accomplir aux toilettes fait qu'on pouvait difficilement mieux le disposer en termes de processus d'usage.
  • le sèche-mains est un appareil dont l'usage monopolise au moins une demi-minute : c'est un timing idéal pour lire les instruction et voter : excellent disposition temporelle
  • le sèche-mains, appareil communément blanc, présente une surface idéale de communication : excellente synergie avec un équipement existant
  • (point subsidiaire) : cela nous donne également des informations sur les personnes qui ont donné les règles de placement / placé les dispositifs : ils s'attendent à (et contribuent peut-être à générer) des comportements de "bonne éducation" concernant l'hygiène. Qu'aurait-on pu déduire d'un placement devant les urinoirs ?
Un autre point d'intérêt est le langage utilisé pour communiquer : les différents smileys, avec les couleurs, permettent une très bonne compréhension de l'input attendu par le visiteur de passage. Les textes en 2 langues sont presque superflus, mais totalement en adéquation avec l'univers cosmopolite que représente un aéroport international (riche au niveau des langues et nationalités, plus pauvre en terme de diversité culturelles) Le dernier point qui a attiré mon attention est "la petite erreur de fin de parcours", qui pourrait donner lieu à de drôles d'innovations : pour entériner son vote, il faut presser un des 3 boutons... Sachant qu'un certain nombre d'usagers n'ont pas pour habitude de se laver les mains, oseriez-vous utiliser ce dispositif ? Un effort intellectuel permettrait de se dire qu'une personne ne s'étant pas lavé les mains n'aurait pas besoin du sèche-mains... oui mais... si jamais ? Prendriez-vous le risque ? Du coup, une innovation intéressante consisterait à trouver d'autres moyens (ludiques) d'activer le dispositif : contact par un autre moyen que la peau, activation à distance, détection d'expression faciale, etc. Pour les lecteurs non helvétophiles, ce type de dispositif est courant dans les restaurants  Suisses et Nord Américains (j'en oublie sûrement), il est donc tout à fait cohérent en terme de sourcing /exploitation dans les toilettes de l'aéroport de Genève :) Les questions corollaires qui se posent :
  • Auriez-vous voté ?
  • Presseriez-vous le bouton sachant que cela pourrait mettre un emploi en péril ?
  • Comment / par quel moyen auriez-vous pressé le bouton ?
  • Comment repenser le sèche-mains électrique ?
  • Comment repenser le feedback (tacite ou non) sur la propreté des lieux d'aisance ?
  • Ce dispositif de vote est-il adapté à tous les type de sèche main ?
  • Quels sont les autres processus ou un feedback peut-être compromis par l'interaction/le contexte de vote ?
http://www.feedback-now.ch

Une imprimante nommée Céline

imprimante-celine (Paris, janvier 2014) Les machines, et les objets connectés au réseau en particulier, ont la désagréable habitude d'avoir des noms impossibles à employer dans une conversation. Et ne parlons même pas de la difficulté à les mémoriser. Certes les adresses IP procèdent toutes du même regroupement de chiffres (128.62.188.203). Certes les administrateurs-réseaux configurent ces appareils avec minuties ("Imprimante-3ème-bureau3256"). Il n'en reste pas moins qu'avec l'accumulation d'objets connectés et la colonisation du numérique dans toutes sortes de machines de notre quotidien, il devient compliqué de gérer tout cela. D'où la mise en place d'astuces et de petits bricolages pour se faciliter la vie. Nommer les machines semble être un premier pas pour s'y retrouver, comme dans le cas de cette école d'art parisienne dans laquelle chaque imprimante a reçu le nom d'un artiste (Louis Ferdinand Auguste Destouches, dit "Céline" dans le cas présent). L'utilisation du nom d'une personnalité permet l'identification et l'on imagine aisément la discussion qui s'en suit: "J'ai changé la cartouche de Céline", ou "Je crois que Céline a un bourrage papier". N'ayant pas visité les autres bureaux, je ne sais comment la nomenclature se décline précisément; s'il règne une alternance des sexes suivant les étages ou les départements; s'il y a eu un consensus sur les propositions ou si certains s'amusent à renommer les dits appareils. Pour autant, cette tactique semble courante, en témoigne l'attribution de noms aux aspirateurs-robots Roomba.
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