...une livraison un peu légère pour le coup...
1. Expressions idiomatiques
- Poseurmoji : emoji annoncé annoncé en fanfare comme nouveau et original alors qu'il n'est pas compris dans les certifications du Consortium Unicode et donc inutilisable. Par exemple le cas des emojis "finlandais" headbangers/sauna/nokia (Source: cet échange avec Samantha Culp sur Twitter).
- Flasher son mobile : terme désignant l'opération de changement des fichiers d'origines de son téléphone mobile par d'autres fichiers, généralement utilisé lorsqu'un opérateur le bloque sur ses propres cartes SIM ou pour accéder à certaines fonctions non présentes par défaut.
- Matériau anthropogénique (anthropogenic material) : matériau composite typique de l'anthropocène, par exemple la fordite (aussi appelée agate de Détroit), qui est "un résidu de peinture automobile qui a séché afin qu'il soit découpé et poli. Une fordite est formée de couches de peinture. Elle est désormais surtout utilisée pour de la décoration ou de la joaillerie" (d'après Wikipedia).
- Sonzai-Kan (存在感) : terme japonais renvoyant au fait qu'un objet puisse donner un sentiment de présence (vu ici). Employé par le roboticien Hiroshio Ishiguro à propos de la conception de ses robots Geminoid.
"Quesque-cest-que-ces-comptes-twitter-spaces-que-ta-la?" m'a demandé cette semaine un ami après avoir zyeuté le flux du réseau social sur ma machine. Au début j'ai cru qu'il singeait Raymond Queneau et le "doukipudonktan" des débuts de Zazie dans le métro... car plusieurs tweets semblaient soit cryptiques soit franchement insupportables : les schémas de @reverseocr ou de @LSystemBot et les élucubrations de @rom_txt l'ont étonné; en particulier par leur dimension pléthorique, "prenant la place" de contenus "produits par des humains" comme il me l'a signalé. Non sans me faire comprendre que c'était l'équivalent d'un livre dont certaines pages auraient été souillées ou piétinées par un chien aux pattes très sales.
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Il est vrai que j'ai eu du mal à défendre l'intérêt de messages du genre :
"EDDDDDDDDDEDTUEDDDDDDDDDDDDDDDDDDDEDEDDDDDDDDDEDDDEDEDEDDDDDDDDDEDTUEDDDDDDDDDDDDDDDDDDODODDODODDODODDODODDODOD"(produit par @rom_txt et qui est un extrait d'un jeu vidéo des Simpsons). Et avec ce graphe pourtant séduisant produit par @LSystemBot la conversation a failli tourner au vinaigre :

Il ne faut pas regarder ce genre de choses en projetant trop de sens, mais peut être juste se dire que c'est un gag de programmeur... ou de se rappeler la citation suivante d'Alan Turing : "A sonnet written by a machine is better appreciated by another machine."
Cependant, je lui ai fait comprendre que le Tweet suivant :
"No children Can't promote The groom objects on moral grounds! Family member Items No allies"(extrait du jeu sur NES GENGHIS-NES10) me semblait plus digne d'intérêt, une sorte de poésie étrange. Ainsi recrachés par la machine, ces mots sonnent comme une sorte de petit haiku curieux à méditer pendant un instant. Et au fond, la logique qu'il y a là derrière n'est pas si absurde: il s'agit d'un programme qui va chercher des extraits de textes dans des ROMs (copies de cartouches de console de jeu). Ce mécanisme est plus ou moins le même que celui de @moonshotbot, lequel est un poil plus signifiant. Il nous propose en effet, quatre fois par jour, une photo tirée au hasard des archives du Project Apollo. Il s'agit là d'une belle manière de redécouvrir des images auquel je n'aurai jamais pensé chercher.
Plus abouti, le @MagicRealismBot est également aussi savoureux que le courant littéraire auquel il renvoie :
"A nun devotes her life to writing a complete history of every sunrise that has taken place in New York. ... A Japanese university student owns a pair of spectacles which lets her see every goose on earth. ... A medieval Belgian philosophical treatise describes a world in which there is only a peanut shell, and a sea shell. Nothing else."(( Les plus attentifs/observateurs d’entre vous auront remarqué l'existence d'un motif récurrent. Cette structure aussi basique qu'évocatrice permet par recombinaison de produire un ensemble de phrases dont le sens laisse en général rêveur. ))
Lorsque plusieurs de ces messages se retrouvent les uns à côté des autres, lorsque le fil twitter est de plus plus colonisé par des bots, une impression curieuse transparait : cette présence algorithmique continuelle donne le sentiment que tout cela a plus ou moins un sens. J'en ai déjà parlé plusieurs fois – voir par exemple la livraison vingt à propos de Weird Twitter – mais cela me semble pertinent de revenir là-dessus. Les bots – terme hip pour désigner un programme informatique qui effectue des tâches automatisées – prennent une place qui va croissante dans la création ou la sélection de contenus culturels. Observer ce qu'ils produisent sur les réseaux sociaux – car c'est là qu'ils "s'expriment" le plus – est une bonne manière de se rendre compte de ces phénomènes, de saisir la diversité de ces manifestations machiniques, et d'en comprendre la logique sous-jacente.
(( Notez aussi qu'il est un peu caricatural d'opposer les contenus produits par des humains de ceux proposés par des bots. Il y a tout un entre-deux possible : les tweets rédigés et planifiés pour être publiés plus tard (on aura ainsi vu des annonces particulièrement malvenues par rapport à l'actualité il y a deux semaines) et des messages peuvent être rédigés de façon incompréhensible ou à la manière d'un bot (comme c'était le cas de feu @horse_ebook qui se faisait passer pour un bot). ))
4. Fragments
🌏Puisqu'on est dans les contenus un peu curieux, je dois dire que le compte @Sadtopographies sur Instagram me semble tout aussi intéressant que les bots Twitters mentionnés plus haut. Pour le coup, c'est une série de photographies publiées par un être humain (l'artiste Damien Rudd). Mais il s'agit d'un répertoire fascinant d'extraits de cartes Google Maps et dont les entités géographiques – lieux-dits, noms de montagnes ou de rivières – ont toutes pour point commun d'avoir une connotation triste ou désespérante: Mount Despair, Broken Heart Lane, Lonesome Lake, Road to Misery.
👀Onglets ouverts dans le navigateur : ce tumblr d'Aram Bartholl qui compile des excès du sabir marketing à propos de toutes sortes de trucs en 3D, une vidéo du plus petit musée du monde qui se trouve à New York, ce service qui se propose de découvrir sur Google Earth les lieux d'où sont envoyés des photos partagées sur Instagram, une histoire du "like", un répertoire de projets de smartphones modulaires, et un texte intitulé "L'avenir du crétinisme" du philosophe Pascal Engel.
Merci de lire Lagniappe! Les livraisons sont un peu plus espacées qu'il y a quelques semaines, mais je persévère.++
nicolas
((licence CC BY-SA 3.0 FR))